Beynes 2010 France (Yvelines)
Au fond de sa cuvette, l’apparence est celle d’un encombrant monticule de pierres ou d’un monument écorché. Hormis sur le châtelet principal, tous les parements ont disparu. Dépeçage et recyclage font le beurre des Pontchartrin, propriétaires au XVIIIe. Jusqu’au début du siècle, la fortune avait souri à la forteresse qui, depuis la fin du XIe n’avait cessé de s’étendre et de se moderniser ; de la motte castrale avec son fortin en bois, aux élégants pavillons de Philibert de l’Orme. Toutefois l’allure médiévale maintenue en substructure ne cadrait plus vraiment avec les standards de l’époque des lumières. Beynes s’est empâté avec le temps, en voulant répondre au développement des armes. Au fil des siècles, les fortifications s’étoffent pour devenir un gros camembert sans cour intérieure, juste une allée traversant d’est en ouest qui relie deux châtelets. Premiers aménagements en dur au XIIe, construction d’une enceinte qui protège la motte, neuf tours semi cylindriques lui sont adjointes avant la fin du siècle. Plus basse, la seconde enceinte flanquée de tours borde un fossé dont la contrescarpe est maçonnée ; des dispositifs dignes d’un prince, voire royaux pour l’époque. La position du château défend le petit royaume des Capet, depuis la vallée de la Mauldre la Normandie anglaise est à deux pas, Philippe Auguste n’a pas encore récupéré les Andelys. Reprise des travaux au XVe, l’avènement de l’artillerie induit l’arasement du donjon avec la construction d’un logis, couverture des anciennes braies. Entre les deux enceintes court un couloir de casemates, surmonté d’un boulevard d’artillerie, enfin pour narguer les tirs des bombardes et couleuvrines l’ancien fossé s’élargit de 30 m. Annonce de temps meilleurs lors de la construction des deux pavillons renaissance sur le boulevard devenu une promenade. Ph de L’Orme s’y attelle, mandaté par Diane de Poitiers, propriétaire de Beynes en 1556 à la faveur de sa relation avec H II. De près et d’un peu moins, Beynes est mêlé au destin royal, depuis 998 avec Robert le Pieux, les Montfort du XIe au XIVe, avec le bref passage anglais pendant la Guerre de Cent ans. Au XVe, les Estouteville modernisent puis vendent au début du XVIe au chancelier de François 1er, ce dernier le récupère et l’offre à sa favorite. Retour dans le giron royal, don à Diane de la part d’H II. Il demeure dans la famille de Brézé jusqu’à une nouvelle vente au milieu du XVIIe, viennent Les Béthune, enfin les Pontchartrin en 1709. A la fin du XIXe, la famille d’Harrincourt hérite d’une ruine recouverte de lierre. La sauvegarde débute dans les années 60, elle n’en finit pas. L’intérieur du site, que je n’ai pu visiter, comporte de nombreux et riches détails éclairant sur l’évolution des systèmes défensifs. La barbacane, en plein milieu du fossé, distribue les deux accès du châtelet : aux pieds des murailles et au niveau de l’allée centrale, un seul pont la relie au sommet de la contrescarpe. Les neuf tours sont voûtées sur les deux premiers étages, le troisième est à ciel ouvert, particularité, aucune circulation interne. Il n’existe pas d’escalier, Les paliers sont exclusivement accessibles, soit par le couloir des casemates, par le boulevard ou le chemin de ronde. Vous remarquerez qu’il subsiste quelques belles arbalétrières/canonnières spécialement dessinées pour le tir avec des couleuvrines ou des petits canons. L’inventaire ne fait que commencer, rendez-vous sur place pour la suite. RC
Olivet – Grimbosq 2010 France (Calvados)
Le « château » éphémère, d’une résidence de petits seigneurs, fraîchement installée en Normandie. En provenance de l’Anjou, la famille porte le nom de Taisson. L’histoire se déroule au milieu du XIe ; Raoul, le père, à deux fils devenus ennemis. Raoul II, l’aîné, est installé à Mutrécy le village voisin, Erneis le cadet occupe l’éperon d’Olivet. Raoul reste le plus connu, essentiellement pour sa participation à la conjuration contre le jeune duc de Normandie, le futur Guillaume « Le Conquérant ». Ils seront défaits à Val lès Dunes en 1047. Les objets ainsi que les vestiges relevés lors des fouilles attestent d’une occupation qui ne s’éternise pas au-delà du XIe. A présent en pleine forêt, l’implantation ne reflète pas celle d’il y a presque mille ans, la vue depuis la tour contrôlait la vallée de l’Orne tout en dominant deux petites rivières confluentes, celle du Coupe-Gorge et du Grand Ruisseau. Une disposition classique avec un éperon barré protégé par un fossé, puis par une levée de terre. Dans une première basse-cour : la forge et l’écurie, au centre la motte artificielle défendue par un fossé circulaire, enfin au bout de la plateforme une seconde cour avec la partie résidentielle. Le site proposé à la visite est une reconstitution au coeur d’une zone touristique parfaitement aménagée, il est intelligible par tous les publics. L’affaire ne manque pas d’attrait, l’imagination peut travailler, les vestiges du XIe représentent surtout des travaux de terrassement : les fossés, le rempart de terre, la motte et les deux terrasses. Les fouilles ont permis l’exhumation de divers objets « aristocratiques » tels que : bijoux, pointes de flèches, éperons, pions de jeux. Quelques portions de murets de pierres sèches mises à jour parfaitement reconstituées donnent les bases des trois bâtiments de la basse-cour Nord, cuisine, chapelle et résidence, ces fondements supportaient un ouvrage en bois. Sur la butte centrale, juchée sur des pilotis, trônait la tour de guet en bois, reliée à la basse-cour résidentielle par un long plan incliné. Une pile centrale dont la base est toujours visible supportait l’ensemble. Controverse sans suite, une mention fait référence au titre de propriété d’un « châtelain d’Olivet » au XVIIe… L’analyse rapide des vestiges, l’absence d’élévations maçonnées ne prêchent pas pour une vie résidentielle et seigneuriale sur un pareil site à l’époque moderne.
En poursuivant la promenade dans la forêt de Grimboscq, à quelques kilomètres toujours en pleine forêt, les vestiges d’un autre château sont mentionnés sur certains plans et cartes. Il se trouve en bordure du GR 36 en direction du village de Grimboscq. Inutile de s’exciter, seul un œil averti peut déceler la levée de terre d’un mètre cinquante de haut qui forme un quadrilatère d’environ 25 mètres de côté. La surface est entièrement recouverte de ronces et de fougères, aucune trace de fouilles, nulles pierres ou éléments de maçonnerie, simplement un fossé bien taluté. L’état du terrassement est régulier, la plateforme centrale ne comporte pas de protubérance. Je n’ai trouvé aucune attribution, à peine l’évocation sur la localisation d’un site archéologique. L’endroit pourrait être contemporain d’Olivet, les Taisson s’appuyaient sur plusieurs ouvrages dans les environs. Le rempart de terre pouvait supporter une palissade de pieux flanquée de tours de guet. R.C.
La roche Guyon 2009 France (Val d’Oise)
Des histoires pour tous. Au IIIe siècle, une chapelle troglodytique commémore le martyr de Saint Nicaise décapité dans les environs. Le cardinal de Rohan l’aménage et la reconsacre au XIXe. 1944, dans le socle de la falaise, Rommel creuse son QG. En 1109, tentative de prise par les Normands qui assassinent le duc et sa famille, intervention royale salutaire. Domination anglaise à l’issue du siège de 1419, ils y séjournent 30 ans, à la reconquête l’incorporation au royaume dévalue l’intérêt stratégique, fin de l’ère militaire. Pendant le XVIIIe, Madame d’Enville et son père le duc de la Rochefoucauld transforment la forteresse médiévale en palais. Lieu de villégiature proche de Paris, il accueille lettrés et penseurs jusqu’à la fin du XIXe. Le lecteur de Bandes Dessinées retrouve dans « le piège diabolique » de E.P. Jacobs, les ruelles et le vieux donjon qui surplombe depuis la crête la Seine et son île. Tout paraît débuter dans la falaise avec un calcaire tendre, facile à creuser, le premier château est en négatif ! Invisible, sans prestige, mais efficace avec sa vue imprenable sur une large boucle de la Seine, voie de passage incontournable entre la Normandie et le royaume. La Roche-Guyon appartient à la rive Est de l’Epte, en zone frontalière sensible la position stratégique implique les grands aménagements du XIIIe, en haut et en bas de la falaise. Dès la fin du XIIe, les travaux se portent sur la crête, construction d’une tour de cinq niveaux pour 35 m de hauteur. Démolie en 1793, elle culmine toujours à 18 avec seulement deux étages. Une double enceinte la protège, le premier rang se considère comme un mur chemise surtout en direction du plateau, à peine deux mètres distancent les parois. La seconde enceinte un peu plus large, ménage une petite basse-cour qui s’approche au plus près de la falaise. L’accès au donjon s’effectue traditionnellement au premier étage, à l’intérieur pas de voûtes simplement des planchers. Depuis la terrasse, une belle vue verticale sur l’ensemble du château illustre toute l’histoire de son développement, du XIIIe au XIXe. La ruine est passablement entretenue pour annihiler tout émoi, heureusement l’escalier souterrain glisse un peu de mystère, si tu l’empruntes seul. L’ouvrage reliait le poste de défense du plateau au nouveau château bas. Construit au niveau du fleuve, adossé à la falaise, muni de tout l’attirail militaire du XIIIe il disparaît en partie sous les ajouts et plaquages des XVIIe et XVIIIe. De la fortification, plusieurs stigmates demeurent visibles, amusez vous à retrouver des traces de herse, d’assomoir ou du chemin de ronde. Je recommande la visite de La Roche-Guyon en hiver, le site vide de touristes suinte le calme humide du fleuve et de ses brumes, les souterrains restituent toute la chaleur de la terre. R.C.
Montcornet 2010 France (Ardennes)
Tout autour, d’humbles maisons ardennaises donnent la mesure au gigantisme de la forteresse. Un mastodonte de pierre isolé sur un éperon. La métaphore n’est pas vaine, en voici ses principales dimensions : le rocher pointe depuis le nord vers le sud sur 170 m et 50 de large, la masse du corps d’habitation fait ses 50 sur 50, enfin aux trois niveaux encore perceptibles, il faut y ajouter un quatrième, sans oublier des toitures suffisamment pentues et recouvertes d’ardoises. A la fin du XVe, la « bête » est défendue comme un porte-avions, à Montcornet toute la modernité des systèmes défensifs est représentée. Riche, longue et éloquente liste : boulevard défendu sur 3 niveaux par 18 archères et bouches à feu, châtelet, double pont-levis dont un piétonnier à bascule, gaine de circulation avec des postes de tir à la base des murailles, à tous les niveaux des canonnières certaines avec évents, tour à orillons et plateforme d’artillerie. A l’extrémité Sud, la dernière tour mesure plus de 16 m de diamètre sur 4 niveaux, isolée de la basse-cour par un fossé, et fermée par un pont-levis. Le site géologique est remarquable, un simple fossé au nord détache le long rocher du plateau. L’occupation dès le néolithique semble confirmée, suivent les périodes gauloise et romaine, enfin sous les Carolingiens lorsque naissent les premières infrastructures militaires. Durant les Xe et XIe siècles des seigneurs du Porcien engagent des travaux de fortification, s’appelaient-ils déjà Montcornet ? Ces derniers tiraient leur richesse de forêts au nord et d’un péage installé sur la Meuse à Deville, vers le sud ils possédaient les plaines agraires de la Sormone. La lignée, depuis Hugues, se poursuit jusqu’en 1295. A l’occasion d’un mariage, les Miles de Noyer deviennent propriétaires, pauvre famille qui s’implique dans la Guerre de Cent Ans et se ruine en rançons. En 1446, la seigneurie se vend avec le château en mauvais état, à Antoine de Croy. Ce que tu contemples actuellement date de cette période. Tour à tour les propriétaires contracteront des alliances avec le duché de Bourgogne et le royaume, le domaine se situe à mi-chemin, entre un Hainaut bourguignon et une Champagne française! Cette place stratégique ne semble pas avoir souffert de sièges ou de combats, elle passe d’une main à l’autre par alliance ou rachat. Ainsi, Charles de Gonzague à la belle époque de Charleville acquiert le château, dans la seconde moitié du XVIIIe il parvient au duc d’Aiguilllon qui le fait démantelé. Abandonné, il végète, les pierres s’échappent, redécouvert par le curé du village au milieu du XXe siècle, des chantiers de jeunes s’organisent pour déblayer la cour et les boyaux. Humble renaissance sans fastes et sans grands moyens, il se conserve comme une belle ruine. Un peu à l’écart, Montcornet appartient aux chemins du « Pays où l’on n’arrive jamais », traversé seulement par la départementale secondaire qui relie Arreux à Renwez, d’autres voies existaient, aujourd’hui elles finissent par se muer en chemins boueux un peu gras. Ici, il pleut souvent. Fermé en hiver, un peu plus ouvert à la belle saison. R.C.
La tour du meix 2010 France (Jura)
Route d’Orgelet vers Moirans, Alt 520 m. Un front de mur percé de quelques grandes ouvertures émerge d’une crête boisée, en surplomb du village. A peine 10 mn pour rejoindre la plateforme, l’éperon est barré au nord. Le site fait partie de la ligne de défense, déjà évoquée pour Onoz et Coutterez, qui borde la route pénétrante, menant depuis Genêve vers la Bourgogne. Dès le IXe, le prieuré de Saint Christophe, dont l’actuelle église fait partie, se fortifie. Un ouvrage en bois sur l’éperon s’imagine, à quelques kilomètres, à Largilay une tour sur pilotis dominait la nécropole. Le premier château date du XIIe, l’abbé de Saint Claude en autorise la construction à Aymon de Revigny, mais son fils reniant tout lien de suzeraineté entraîne la région dans une guérilla, achevée par la destruction du château. A cette époque le bâti se situe sur la motte la plus élevée, avec un donjon et un logis accolé. Au milieu du XIIIe, l’abbaye recouvre son bien et le reconstruit. Certainement malmené lors du passage des troupes de Louis XI en 1479, le château est réaménagé. La partie Sud, la plus emblématique aujourd’hui, porte encore les stigmates d’un raffinement dans la maîtrise d’œuvre. L’édifice agrandi par un long corps de logis de 45 m sur 8 s’éleve à plus de 20 m, il sert de résidence aux abbés ainsi qu’à leur sulfureuse suite. Le palais remarquable, ouvre sur la vallée qu’il domine. Il offre aujourd’hui les plus beaux vestiges, parfaitement remaçonnés ils jouissent d’un entretien régulier. Au registre des détails architecturaux marquants, quatre grosses consoles constituées de pierres bouchardées s’avancent sur le vide, elles devaient supporter une galerie et ménager un point de vue exceptionnel. Sur la butte primitive, le vieux donjon et ses dépendances sont submergés de végétation. En effectuant le tour de l’enceinte du côté Est, à travers les buis apparaît un reliquat de muraille, elle protégeait le château d’une prairie en contrebas certainement occupée par des constructions au Moyen-âge. La ruine survient après la guerre de Trente ans, en 1637 le duc de Longueville occupent la Tour du Meix, village, moulin, église et palais sont incendiés. Certaines pièces restent entretenues pour entreposer les revenus de la Dîme durant plusieurs années. R.C.
Présilly 2010 France (Jura)
Décidément les environs d’Orgelet sont prodigues en ruines, le bourg lui-même anciennement fortifié, t’engage à déambuler vers ses manoirs ou ses vastes maisons grises. Une remarquable austérité règne sur ces hauts plateaux qui s’efface sous la neige et le soleil. Simple détour afin de bâtir l’ambiance, celle de la fin étirée d’une belle journée d’hiver, quand le soleil disparaît derrière la forêt, laissant se noircir les blocs du champ de ruines. Soudain, un bruissement lourd suivi d’un hululement t’avertissent, ce n’est plus ton heure. Pourtant, il s’agit certainement de la plus opportune, à la vue des infrastructures festives en bois cartonnées disséminées sur le terre-plein. Avec peu d’imagination, elles te propulsent dans l’ambiance du fort au XVe, des cabanes et des cases entassées à quelques pas des remparts. Présilly revient de loin selon Henri-Paul Eydoux, égoïstement je me demande s’il n’aurait pas dû y demeurer, au milieu de ses broussailles ! Si tu fais abstraction des installations du son et lumière, de l’éclairage nocturne des remparts, de l’impossibilité d’accéder aux derniers espaces couverts, in fine, si tu te contentes de l’aspect extérieur, alors tu éprouveras un peu de compassion pour ces vestiges pacifiés. Le château féodal le plus beau et le plus fortifié du Jura connaît trois lignées ; les Dramelay jusqu’au début du XVe, Nicolas Rolin et son fils, puis la famille de La Baume dès la fin du XVe qui le conserve jusqu’en 1678. Lors de la tentative de ré annexion de 1479, les troupes de Louis XI investissent le château qui ne semble pas en avoir souffert. 1637 paraît plus fatal, la place est pillée par les Français, elle s’en relève difficilement pour subir le coup de grâce en 78, l’état de ruine est avéré dès le début du XIXe. Remercions Nicolas Rolin, grand argentier du Duc de Bourgogne, sans sa fortune Présilly aurait connu le sort des petites seigneuries voisines, pas de modernisation et un abandon probable dès le XVe. L’enceinte polygonale, voire patatoïde, du XIe se maintient, implantée sur une ligne de crête elle domine une plaine agricole avec au milieu la route de Lons à Orgelet. De plain pied avec la colline, un fort mur bouclier épaulé par un donjon carré, renforcé par un fossé, défendent le front Est. A l’extérieur prometteur répond un intérieur vide et désolé. Dans leur inventaire de 1830 Taylor et Nodier évoquent une chapelle, une tour avec un balcon, de larges fossés, aujourd’hui la signalétique en fait heureusement le commentaire. Les ouvrages d’accès sont de loin les plus intéressants, dressés au XVe il s’agit d’un bel exemple des avancées militaires du moment. Plaquée devant l’ancienne porte, une tour porche de deux niveaux abrite les deux ponts-levis, l’un piéton, l’autre pour les attelages. La salle des gardes à l’étage, conserve toujours les jambages et le manteau d’une grande cheminée. Isolée de l’ensemble par le fossé, l’imposante barbacane équipée d’embrasures de tir formait le premier front.
L’ouvrage assez ruiné, adopte une extrémité exposée en forme d’éperon qui se distingue encore. Avec ses hautes courtines, son donjon aux parois de trois mètres, Présilly ainsi défendu n’aurait craint que dieu et les forces royales. R.C.
Couterrez Marsonnay-Largillay 2010 France (Jura)
Il suffit de raconter une histoire pour que des langues se délient, en évoquant ma visite d’Onoz, un ancien habitant de Marsonnay me balance qu’il connaît, lui aussi, un château oublié. Juste au-dessus de sa maison, la colline boisée de Coutterez supportait des fortifications. A vol d’oiseau cinq km distancent les deux sites, configuration et accès identiques, aucun repère extérieur, pour y parvenir il faut connaître l’endroit. Depuis Orgelet, prenez la D49, avant de plonger vers Marsonnay empruntez à droite un chemin longeant le bois, il monte doucement avant de rejoindre un chemin de débardage à flanc de montagne, à 500 m il faudra tirer tout droit vers le sommet en traversant des boqueteaux de buis. Arrivée sur un plateau, je distingue une nouvelle éminence protégée par des haies, à nouveau des grands buis. Le château se trouve au milieu d’un gigantesque buisson, un premier talus avec quelques empilements de pierres matérialisent un premier rempart. Sur la butte, altitude 620 m, l’enchevêtrement caractéristique des ruines et de la végétation laisse deviner plusieurs moignons. Un pan de mur de la seconde enceinte contient encore une meurtrière, la niche intérieure tient encore. L’appareil semble plus grossier qu’à Onoz mais la configuration est similaire, un mur de soutènement à mi pente surmonté d’une ouverture, ici pleinement défensive. Combien de temps tiendra t’il ? Le parement inférieur est manquant. Pas d’éperon barré ici, une enceinte circulaire, autour d’un gros rocher qui supportait une tour carrée d’environ cinq mètres de côté. Aux angles, les chaînages s’élèvent encore sur un petit mètre. Vers le sud, sur la deuxième enceinte un pan de mur d’au moins quatre mètres se dresse parmi les arbres, un gros lierre maintient un ensemble dont quelques pierres perchées ne demandent qu’à rejoindre la roche mère. Le lieu abrite une colonie de sangliers, nous venons de les déloger, ils occupent même le donjon ! En redescendant, le premier niveau de défense est parfaitement appréhendable, à l’ouest des traces de murets témoignent de bâtiments accolés aux courtines. Vaste emprise, au-delà de la muraille s’étend un plateau sur lequel reposaient des habitations, aucun relief visible. Toujours sur le versant Ouest, à 100 m du rempart se trouve un puits, aujourd’hui comblé. Les archéologues semblent avoir oublié le château au profit d’une nécropole mérovingienne sur la colline voisine. Déjà mentionnées au XIXe, des tombes du VIIe siècle ont été découvertes lors de l’extension de la carrière. Le site représente 300 emplacements, seule une cinquantaine a été fouillée.
Situé sur un axe de circulation qui permet la traversée du Jura, l’occupation du site de Largillay remonte à l’époque romaine. Au XIIe, l’abbaye de Château Chalon l’administre. Sans précision de localisation, autre que sur ces sommités, une église aurait été édifiée sur un temple antique et un camp retranché baptisé « mur des Sarrazins » peut-être à l’origine du château. Sa destruction est vraisemblablement contemporaine de celle d’Onoz, il reste à en déterminer la période : guerre de Cent ans, tentative de ré annexion de Louis XI ou guerre de Trente ans ? 1479 serait le plus plausible, l’allure des vestiges vaut bien cinq siècles d’abandon. Les fermes au pied de la colline portent dans leurs murs et aménagements des pierres de réemploi. R.C.
Onoz 2010 France (jura)
« Demain je t’emmène voir un château perdu dans la forêt, personne n’en soupçonne l’existence », quel passionné résisterait à pareille invitation. Rendez-vous à Orgelet direction Onoz. Un village de 82 âmes, perché à 580 m sur un plateau de la Petite Montagne. Tout est recouvert de neige, en avant des premières habitations nous empruntons une petite route qui descend vers la Louvatière, un lieu-dit campé par une grosse ferme. Il faut marcher un bon quart d’heure en suivant certainement l’ancienne rampe d’accès à la crête, première épingle, à la suivante arrivée sur une petite esplanade. Matérialisation de la première enceinte par un début de jambage de porte, la plateforme est terrassée par un mur de soutènement. En progressant sur l’éperon, tu t’aperçois que le côté Est surplombe toute la vallée de l’Ain avec un méchant dénivelé. Deuxième enceinte, un talus comporte les traces de soubassements d’un mur. Nous sommes à 630 m, à peine 30 m au dessus du plateau d’Onoz mais à plus de 200 m sur l’autre versant. Le plus beau vestige se situe sur cette face : un pan de mur, principalement en fondation, surmonté d’une petite baie verticale. Aucun biais, mais une feuillure sur la paroi interne, il ne s’agit pas d’une ouverture défensive. La construction fait un saillant au nord, à demi enterrée une arcade en plein cintre avec ses voussoirs en place couronnerait bien une poterne. Disposition plausible sur cette face escarpée et moins exposée. En poursuivant vers le sud, la déclivité augmente, nous retrouvons des éléments fortifiés qui bordent une faille accentuée par un travail manuel. En bas, des tailles régulières dans le rocher correspondent à l’activité des carriers. Sur l’éperon, nous distinguons les restes d’un mur bouclier et d’une tour carrée, en contrebas ceux d’une porte avec vraisemblablement dans une pierre le logement pour une poutre de fermeture. Mon guide m’affirme qu’une seigneurie d’Onoz est mentionnée. La construction daterait du XIIe en défendant une voie de traversante du Jura. Une ligne de fortifications s’étend jusqu’à Lons le Saunier, pas moins de quatre sites répartis sur 10 km de crête : Onoz, la Tour du Meix, Largillay, Pont de Poitte, sans compter quelques autres à l’approche de Lons ! Tous ruinés, soit depuis le passage des routiers au milieu du XIVe ou lors de la tentative de ré annexion de la Franche Comté par Louis XI en 1479, quand les fortifications du bourg d’Orgelet sont détruites. Dernière hypothèse, pendant la guerre de Trente ans, en 1637 Orgelet est brûlé, la Tour du Meix démantelée. La Franche Comté et le jura reviennent au royaume en 1678 lors de la signature du traité de Nimègue. R.C.
Marthon 2009 France (Charente)
Une période faste pour l’occident que la fin du XIIe, le réchauffement climatique abordé pendant les X, XIe et XIIe siècles profite à tous. L’enrichissement des petits seigneurs locaux se traduit bien souvent par une transformation en dur de leur motte castrale. Dans le Sud-ouest, les partis français se heurtent aux Anglais, lors de son retour des croisades et de sa captivité Richard Cœur de Lion n’a de cesse que de récupérer les terres des Plantagenêt. L’insécurité favorise la multiplication des positions féodales. La construction du château de Marthon serait à l’initiative d’un vassal du comte d’Angoulême, un hobereau suffisamment puissant, descendant de la lignée des Montbron. Une situation importante, les vestiges de la tour réduite à sa moitié sont encore conséquents. Dans le village, au pied de la motte, une grande chapelle sur deux niveaux est en cours de restauration, l’édifice accueillait au rez-de-chaussée les pèlerins, l’étage étant réservé au châtelain. Faisait-elle partie de l’enceinte ? Quelques traces de mur subsistent autour de la butte, des habitations sur ses flancs rendent difficile l’évaluation. Le Donjon s’élevait jusqu’à 30 mètres, 15 aujourd’hui, trois niveaux sont encore identifiables, tous voûtés. Au sol, le plan est quadrangulaire avec des contreforts plats, une disposition fréquente dans la région, voyez Rilhac-Lastour au sud de Limoges. La distribution se répartit traditionnellement : au rez-de-chaussée une salle ronde couverte par une coupole, espace de stockage accessible par le premier étage. Ensuite l’étage noble, puis au second une salle de garde, dans chaque pièce une cheminée, un escalier à vis desservait les étages. Extrêmement remise en état, palliant les intempéries et la chute intempestive de pierres, la tour du Breuil manque cruellement de charme. Fort heureusement, le village avec ses maisons amassées sous la colline forme un ensemble agréable. Il se dit qu’en 1347 les Anglais détruisent le château, seule la tour demeure, dans l’appareil des traces de reconstruction sont visibles. Son occupation perdure jusqu’à la fin du XVIIIe, à partir du XVIe lors de l’édification du château neuf dans le bas du village la vieille tour devient une prison. Pendant la Révolution, la famille de Montbron qui avait acquis la seigneurie de Marthon perd l’affaire, vendue comme bien national, l’abandon entame sa ruine définitive, jusqu’à la mise sous cloche il y a dix ans. Dans le village, une autre attraction mérite un examen, néanmoins inaccessible. Une grosse bâtisse néo-classique qui rappelle le style haussmannien dissimule le fameux château neuf du XVIe. Des gravures anciennes montrent un manoir renaissance inachevé, auquel il manque une toiture et une aile. Le maître d’ouvrage est Hubert de La Rochefoucauld, la famille possédait la seigneurie de Marthon, dont la vieille forteresse. A son décès, la construction s’arrête le plongeant vers une destinée proche de son aîné, un abandon progressif. Au XIXe, un autochtone devenu député, M. Raynaud achète le manoir ruiné. Reconstruction intégrale, les vestiges renaissance sont digérés dans le nouveau projet. RC
Piégut 2009 France (Dordogne)
Un château de plus dans cette région aux marches du royaume. Dépendant de Nontron, la châtellenie de Piégut fait partie du Limousin. L’occupation de cette motte naturelle « remonte », un ouvrage en bois a certainement précédé le premier château en pierre du XIIe. Lorsque Richard Cœur de Lion sort de captivité en 1199, il revient en Limousin faire son marché, sur son chemin Nontron et Piégut sont pris et pillés. L’histoire aurait pu se prolonger s’il ne s’était fait fléché à Châlus. La place, reprise par les Français, retourne dans le giron des vicomtes de Limoges. De nouvelles fortifications, dont la tour, sont entreprises vraisemblablement pendant le XIIIe. Elle présente des similitudes avec celle de Châlus, élevée par les Maulmont à la même époque. Les proportions sont semblables, 23 m pour 7 de diamètre ici, et 40 par 10 à Châlus, un rang de corbeaux pour mâchicoulis les couronnait. L’historique proposé sur le panneau de reconstitution donne trois dates de sièges ou de batailles : 1364 le retour des Anglais, 1591 la Ligue pendant les guerres de religion et 1594, la jacquerie quand passe une bande de croquants, enfin la ruine au XVIIIe. Piégut est avant tout un édifice militaire, plus qu’une résidence, au XVIle le château a perdu tout son intérêt stratégique. Qui peut se prévaloir d’une tour dominant toute la région, mais à peine habitable ? L’édifice se situe à la périphérie du village, au pied de la motte s’étend une esplanade célèbre par son marché du mercredi, une institution qui date du XVIIe. Un premier mur flanqué de tours ceinturait la butte, ensuite une seconde enceinte défendait un étroit logis ramassé à la base du donjon, son emprise est restreinte, le bâti s’étage sur trois niveaux. Les derniers remaniements dateraient du XVe siècle, peut être la tour d’escalier, dont un pan de muraille toujours debout est percé de larges ouvertures. L’ensemble est largement remaçonné, un peu trop, devoir de précaution pour le public. L’appareil en granit diffère de ses voisins en pierre de taille et schiste, nous sommes à la limite du Périgord granitique. Le site est parfaitement entretenu, ouvert à tous. La restauration semble récente, le principal intérêt reste l’ascension des 23 m avec la vue qu’ils procurent. Pour votre information, la région regorge de ruines, la plupart d’un intérêt secondaire, soit par la taille : ici à Piégut ou à Châlus Maulmont ; par la pauvreté de restes largement bétonnés : à Des Cars ou encore à Marthon ; par le bouclage à Rilhac, Pranzac, Lavauguyon, Châlus Chabrol. Au loisir de cet itinéraire, si vous avez la chance de pénétrer à Lavauguyon vous ne regretterez pas votre journée. Les moins passionnés, avides de restauration parfaite à l’anglaise, s’enverront benoîtement près de Bournazac, la visite de Montbrun qui se mire si fièrement dans son étang. RC
Rilhac Lastours 2009 France (Haute Vienne)
Au sud ouest de Limoges, sur un plateau cerné de collines, un petit village et son château. Une image bucolique dont je ne devrais pas me lasser, si une fois de plus la visite était contingentée. Le site est en cours de sauvegarde… Dommage, en fin d’après midi au mois d’août, légitimement tout espoir d’ouverture est permis. D’autant que des machines de siège dépassent des murs, des baraques en bois ornées de fanions semblent attendre les touristes pour les abreuver de bière, j’imagine des hauts parleurs diffuser de la musique celtique. Ca sent la fête médiévale, le dimanche semble le plus opportun pour pénétrer dans l’enceinte et fouler le gazon de la haute basse-cour, au pied du faux vieux donjon. Le premier fort, construit au IXe, occupe jusqu’au XIIe une butte qui supporte aujourd’hui la petite église. Il s’agit d’un ouvrage plutôt en bois. Au XIIIe, migration à 150 m vers un promontoire voisin avec la construction dans un premier temps d’un gros donjon roman à contreforts plats, comme il en existe dans la vallée de la Creuse, une architecture déjà démodée au XIIIe. Démoli pendant la guerre de Cent ans, sa reconstruction s’effectue dans une même facture à la fin du XVe. Thèse bizarre, nos ancêtres s’encombraient peu de leur passé, remonter une tour à l’identique apparaît difficilement concevable a fortiori d’un point de vue militaire. Une affaire d’autant plus paradoxale si nous comparons l’évolution des modes et l’adaptation aux systèmes défensifs des châteaux voisins, qui appartiennent eux aussi aux Lastours puis aux Pérusse des Cars. Je m’en tiens là. Jusqu’en 1793, date de l’ordonnance de sa destruction, la forteresse passe entre de nombreuses mains, dont une co-seigneurie au XIVe et au XVe, régulièrement les des Cars font la paire. La famille a rapidement pris possession dans la région d’autres seigneuries : Pranzac, Lavauguyon et des Cars. Les ruines que nous contemplons proviennent de la grande reconstruction de la fin du XVe : l’enceinte polygonale, quelques tours et le remaniement d’un logis primitif du XIIIe. D’autres travaux entrepris ultérieurement concernent l’entrée, la tour de la chapelle, les renforcements autour du donjon dont un éperon et une tour. Cette dernière campagne entamée en 1500 a pris fin 30 années plus tard. Pour une construction tardive, il faut reconnaître l’austérité de l’appareil, la simplicité des formes et l’absence d’éléments décoratifs. Je clos l’inventaire, n’ayant pu cheminer qu’à la périphérie du site, en apercevant derrière un rempart de ronces et de mûriers les vestiges des courtines. R.C.
Châlus 2009 France (Haute Vienne)
Haut lieu de l’histoire médiévale, immortalisé par la mort de Richard Cœur de lion en 1199. Pauvre Richard, sottement blessé par un carreau d’arbalète le 26 mars, qui calancha le 6 avril suivant de la gangrène. Il est mort entouré des siens, enfin de sa mère, Aliénor d’Aquitaine. Philippe Auguste pensait ainsi faire une bonne affaire en se débarrassant de son frère ennemi et de la présence anglaise dans le Sud ouest, l’histoire ne faisait que commencer. En pénétrant dans Châlus le visiteur compulsif rêve de s’envoyer deux sites, dont ce grand donjon circulaire sur sa colline. Il se contentera de l’ouvrage situé en ville basse, sur l’éminence le site est clos, tenter d’en faire tour n’apportera rien. C’est pourtant là que s’est déroulé le drame, un ostentatoire panneau te le rappelle. Hormis la tour qui a perdu la moitié de sa hauteur, il ne subsiste que peu d’éléments du XIIe, vestiges parsemés de la chapelle, parmi un logis du XIIIe et une grosse bâtisse du XVIIe. Forteresse dominante, Châlus Chabrol passe successivement entre les mains des vicomtes de Limoges au XIIe, puis des Maulmont, les La Trémoille, les d’Albrets, enfin les Bourbons du XVIe au XXe. Renseignement pris, elle appartiendrait actuellement à un ressortissant Anglais, piètre vengeance… Rabattez-vous sur le petit fort de la ville basse. Les deux sites appartenaient au même ensemble fortifié, chacun implantés sur un mamelon, séparés par la Tardoire. Au XIIIe, les Maulmont, devenus seigneurs de Châlus, protègent la ville d’une enceinte flanquée de tours et fortifiée par ce petit château. L’emprise est réduite, il s’agit d’un quadrilatère défendu par deux tours implantées en diagonale. Le démantèlement survient après la Révolution entre 94 et 99, la tour Nord-ouest est détruite, délaissée, la toiture du logis tombe en 1928, en 1994 la tour Sud-est s’effondre sur des maisons voisines, elle mesurait 27m. La visite du site, parfaitement consolidé, n’apporte pas de sensations particulières, la sauvegarde a nivelé toute les particularismes de la ruine, pratique un escalier en métal permet l’accès au plan supérieur. A admirer, la belle fenêtre géminée sur la façade du logis, à visiter, le petit musée juste dans la rue en dessous. R.C.
Pranzac 2009 France (Hte Vienne)
Envahi par la végétation, ce site impénétrable s’entoure d’un mystère bien dénaturé par l’environnement croquignolesque d’un pavillon contemporain vaguement squatté, et d’un stock hors d’âge de matériaux de construction. Destin ordinaire de beaucoup de châteaux ruinés qui, il y a encore 25 ans, accueillaient une ferme, une décharge ou une petite fabrique. C’est au XIIe que la forteresse se construit. Elle ferait partie des nombreuses possessions de la famille des Cars, riche lignée très influente dans le bas Limousin au XVe et XVIe siècles. La branche résidente ici prend le nom des Cars de Pranzac. Comme à Lavauguyon, situé à plusieurs dizaines de kilomètres vers l’est, le château a subi les dommages de la guerre de Cent ans, suivi d’un grand remaniement à la fin du Moyen-âge. Les redents sculptés du mur pignon du grand logis illustrent ce gothique finissant. Au début du XVIe, la passion amoureuse de l’héritière de Pranzac pour un orphelin de sang royal enracine la petite seigneurie dans l’histoire. En 1520, la belle veuve argentée du Sénéchal d’Angoumois Jean Guy de Mareuil, achète le château, sa fille Gabrielle y passe toute son enfance, jusqu’à sa maturité. Sa beauté transcende celle de sa mère qui nourrit justement pour elle un grand destin, légèrement forcé par une rencontre subreptice. Entre deux portes, elle présente la belle Gabrielle au jeune Nicolas d’Anjou, ce dernier à peine émancipé n’échappe pas à la passion dévorante d’un feu qui le consomme illico. Rapidement, la vieille Catherine organise les noces, sa belle fait coup double en associant l’amour au blé. Hélas, Nicolas vit dans l’ombre d’un puissant tuteur qui parvient à rompre le mariage, les amants rejoignent chacun leurs campagnes. Plus forts que tout, comme celui qui les dévore, ils se retrouvent en 1541 pour se marier une seconde fois, Gabrielle devient marquise de Mézières. Quant au château, qui comptait quelques trente pièces à ses riches heures, il sera vendu comme bien national et démonté pour le commerce de pierres. L’opulente végétation dissimule les ruines, principalement dans la basse cour. L’emprise des murailles, ainsi que plusieurs tours d’angles restent solidement dressées. Les courtines extérieures, accessibles par des voies communales, sont dégagées, le grand corps de logis entretenu mais assez dénaturé fonctionne à présent en tant que bâtiment agro-industriel. Sa façade intérieure est flanquée d’une tour d’escalier, certainement du XVe, un peu dommage pour le pavillon grisâtre des années 60 construit à moins de 10 m, du brutalisme réaliste. R.C.
Des Cars 2009 France (Hte Vienne)
En retrait d’une étendue bitumée où se pose tous les mercredis le « J9 pizzas », il subsiste au milieu du bourg, à côté des services sociaux, des vestiges consolidés et sécurisés sans passion. Certaines se souviendront de l’auteur de romans à succès de l’après-guerre, Guy des Cars, héritier du duché Des Cars dans le sud Limousin. Au XIV siècle, la famille Pérusse s’implante dans le village de Cars sur la Paroisse de Flavignac, elle adjoindra ultérieurement à son patronyme celui du lieu dit. Une lointaine origine italienne leur est prêtée. Il existait au XIIe un prieuré avec une maison forte bâtie par les Flavignac, à leur extinction en 1280, les Barry puis les Pérusse s’installent, tout en continuant de rendre hommage aux Lastours, propriétaires de la châtellenie voisine de Rilhac Lastours. Intermède anglais, pendant la guerre de Cent ans, de 1373 jusqu’à l’arrivée de Duguesclin vers 1430. Le château, comme celui de Lavauguyon, aurait largement souffert de cette libération. L’émancipation des Pérusse et leur succès à la cour de France leur autorisent la reconstruction d’une grande demeure renaissance au début du XVIe. Quelques dizaines d’années plus tard, au milieu des guerres de religion, la place se fortifie à nouveau avec la construction d’un châtelet d’entrée nanti d’une grosse tour d’artillerie, dernier vestige admirable, hélas en réanimation bétonnée. Jusqu’en 1778, au fil des générations les aménagements se poursuivent avec la fortune des dorénavant Pérusse des Cars. L’inventaire de 1793 décrit : cinq pavillons entourés de boulevards sur lesquels s’ouvrent des portes cochères, le jardin était le plus beau de la province. Cinq années plus tard tout est détruit et les pierres dispersées. Des fouilles en cours font apparaître dans le fossé, au pied de la tour d’artillerie, les soubassements de deux tourelles en flanquement de l’ancien châtelet. L’accès et la visite des deux tours est possible, en revanche les caves sont inaccessibles. In fine, il s’en est fallu de peu pour que le bourg arbore fièrement, en son centre ville, un magnifique château ouvert au public tous les week end de Pâques à la Toussaint. Les automobiles rouleraient doucement sur un pavage autoclave devant la noble façade, en lieu et place de mobylettes kitées et pétaradantes, dans son J9 le pizzaïolo proposerait des glaces et des gaufres. R.C
Lavauguyon 2009 france (Haute Vienne)
Plongé dans une forêt, un quadrilatère parfait de 40 m de côté, encadré par 4 grosses tours extérieures, au milieu une vaste cour. L’accès se situe sous une grosse tour porche carrée consacrée donjon. A côté se trouve la chapelle, la richesse décorative de ses arcatures établit une construction du milieu du XVe, du gothique flamboyant.Les bâtiments sont accolés aux courtines, de larges fossés entouraient l’ensemble, leur mise en eau était facultative, le château se situe sur la rive droite de la Tardoire. La ruine date du XVIIIe, abandonné progressivement au fil du siècle, il est démantelé en 1792 lors de la révolution, les pierres de tailles servent de matériaux de construction. Au XIXe, un inventaire mené par un abbé érudit, mentionne des peintures murales du XVIe représentant des membres de la famille des Cars de Lavauguyon. Il évoque également une clef pendante dans la salle basse du donjon, ainsi que des caves toujours accessibles sous les bâtiments du mur Est. Dans les tours, à l’étage, les salles étaient carrées et mesuraient 6 m de côté. Enfin, des galeries dans les courtines permettaient de relier les tours. Une opération de nettoyage dans les années 70 a mis à jour d’autres structures défensives dont un doublement du rempart sur le front Est. Aucune défense naturelle ne protège la construction, en conséquence le système défensif est plutôt élaboré : hautes murailles, fossés en eau, puissantes tours en saillie, galeries de circulation, tour porche avec un pont-levis. Entre Limousin et Poitou, la place occupait une position stratégique chèrement payée une première fois par l’occupation anglaise au début du XIVe, puis lors de sa reprise en 1431 par la bande à Duguesclin. Ce premier château du XIIe aurait brûlé, ses logis et remparts effondrés, des pierres rougies en réemploi dans la muraille en attestent. La reconstruction est datée de 1560 et attribuée à Gauthier de Pérusse, Sénéchal du Limousin. La famille Pérusse des Cars, prend le nom de Lavauguyon lorsque la terre devient un comté, merci à Henri III, elle conserve son bien jusqu’en 1719, date de la vente à Vincent le Blanc et début de la dèche. Ce dernier sera ruiné à sa mort dix années plus tard, le château change de main plusieurs fois, jusqu’à la démolition ordonnée par la Convention. Ce descriptif est purement livresque, le site est admirablement délabré, une ruine en pleine vie sans traces de rejointoiement, sans programme de préservation affiché. Rare, dans cette région où la plupart des monuments jouissent d’une valorisation en béton municipal : Marthon, Les Cars, Châlus, Rilhac… L’accès n’est pas franchement autorisé, cependant il est possible de descendre dans les fossés et d’en faire le tour, à l’exception du côté Nord. Une grande opération de nettoyage est en cours, elle révèle toute la puissance de ces hautes et longues murailles, effet accentué depuis le fossé. Côté Est, le défrichement laisse apparaître des traces de parement sur la contrescarpe, vestiges du doublement du rempart Est. Sur le terre-plein de la cour, les courtines sont dégagées mais l’ensemble donjon et logis n’est encore qu’un fatras de ruines et de ronces impénétrable. Imagine la fébrilité des défricheurs qui, dans le vacarme de leurs machines, exhumeront quelques belles pierres taillées, et peut être l’accès aux sous-sols. Tu peux d’ailleurs en authentifier l’existence aux pieds de la tour Nord-est avec des petites ouvertures de tir rasant. Le château se trouve sur une plateforme à mi-pente, en bordure de la route vers le sud, en contrebas du bourg des Salles-Lavauguyon. Munis simplement de pelles et de pioches, le terrassement des fossés a dû ruiner les lombaires de plusieurs troupes d’indigènes limousins. « Bonne » nouvelle !! Le château vient d’être racheté, la restauration se profile avec une association de sauvegarde, cela sent le barbelé pour au moins une vingtaine d’années, puis les noces et banquets ! R.C.
Montfuron 2008 France (Alpes Htes Provence)
Ne vous rendez pas à Montfuron, ne passez pas par Manosque surtout si le temps est gris, si le mistral souffle. L’endroit est réservé aux initiés, à ceux dont les racines sont ici ou, adulateurs de Giono, vous souhaitez pénétrer toute la dureté émanant de la misère qui plane sur ces âpres coteaux arides. A Montfuron, il y a eu un château, pile au-dessus du village, il est d’ailleurs pompeusement fléché et grassement signalé sur les cartes routières. En guise de vestiges, il subsiste un mur, heureusement pas entretenu. L’appareil est en petits moellons, dans un bel assemblage de pierres de taille, trois contreforts ou supports de voûtes semblent rigidifier l’ensemble. Le néant sur la terrasse, point de vue largement aménagé pour les promenades digestives, aucun signe tout est arasé. Vue imprenable sur un moulin à la Daudet fraîchement restauré, une visite très didactique où le fonctionnement de la machinerie permet aux petits et grands de se délecter. La butte recevait une première enceinte installée à mi-côte, plusieurs rangs de pierres sont encore visibles. La faiblesse de l’épaisseur du mur prêche pour une construction non structurelle, en tout état non défensive, autre hypothèse le pan de mur appartiendrai à un édifice religieux. Une histoire secrète ou non révélée, l’endroit est cité dès le XIe siècle, mis à sac à deux reprises. D’abord par les routiers pendant la guerre de Cent ans à la fin du XIVe, puis par des bandes de mercenaires en rupture de contrat qui zonent et rançonnent dans les campagnes avant de rejoindre la leur. Second pillage, lors des guerres de religion en 1560 Montfuron est à nouveau incendié, il souffre encore durant la révolution. Dernier fait, en 1815 une bande de brigands aurait investi le lieu, il n’est pas précisé si l’action se déroule au château ou bien dans quelques demeures. La rareté des vestiges, leur état ne plaident pas pour l’occupation du plateau au début du XIXe. R.C.
La Chapelotte 2007 France (Vosges)
Avant 1914, au milieu de la forêt, il se trouvait au col de La Chapelotte une maison forestière et une chapelle. D’un côté la Lorraine, la vallée de Celle sur Plaine, de l’autre le massif vosgien. Fin 18 la crête est pelée, rouge, non pas de sang comme le commenterait un expressionniste en mal d’inspiration, simplement parce que le grès rose qui constitue la montagne a bénéficié d’un labourage en profondeur. Ensevelis par la mine, hiver comme été, 2000 soldats français et autant d’allemands ont payé de leur peau. Finalement, les types se sont rendus compte qu’à plus de 35 m de profondeur, les mines n’opéraient plus ! Quelquefois, à peine 20 m séparaient les deux lignes de front, sur place difficile de savoir où se situaient les uns et les autres, seuls repères, les Allemands ont construit des bunkers en béton. Les Français, persuadés de reconquérir rapidement, utilisèrent des matériaux naturels ou se terrèrent au fond des grottes. L’éloquence des chiffres devient le pléonasme de l’horreur : 55 mines pour un front de 300 m, 150 tonnes d’explosif, 1500 m de galeries, dont une française s’enfonce à plus de 120 m sous les lignes adverses. Ensuite, du matériel de haute volée : centrale de production d’énergie, liaison ferroviaire, gaz, lance-flamme, barbelés électrifiés. Amusant paradoxe, les troupes en première position dans les Vosges y venaient en villégiature, histoire de se refaire une santé. Profiter également de l’air pur pour des compagnies corses et niçoises qui y stationnent durant des hivers entiers ! Lorsque tu franchis le col, le souvenir s’efface, un calvaire et les deux jambages du péristyle de la chapelle sont debout, c’est tout. Il faut s’enfoncer un peu en forêt pour découvrir une première tranchée, rapidement tu tomberas sur des barbelés puis des « queues de cochon », assez facilement tu trouveras les vestiges de ton premier poste de mitrailleuse bien bétonné. La promenade peut durer plusieurs heures, pour l’amateur de ruines perdues c’est un parc où tu cours d’attractions en attractions. La quête du vallon qui abrite l’hôpital et plusieurs casemates allemandes figure la consécration. Plus loin, la découverte des pierres tombales parachève l’œuvre. Ce traitement, dans mon inventaire de la fortification médiévale, du site de la Chapelotte illustre sur l’échelle du temps la relativité de ses écarts. Les modes de construction défensives employées nous ramènent en plein Moyen-âge. Parement de murs en pierre, ossature en béton coffrée par des rondins de bois, implantation d’un bunker à l’extrémité d’un éperon. Départ d’un téléphérique, le fameux ouvrage s’accroche au flanc de la colline, assis sur un socle de béton, il s’élève sur deux niveaux, sur l’autre côté une petite terrasse domine le vallon. Il protégeait toute l’enfilade, dont le fameux hôpital. La visite de ce dernier redonne un peu d’humanité à l’endroit, sinistre dans cette forêt de résineux, l’entrée de la chapelle est surmontée d’un fronton classique, certaines salles sont agrémentées d’une frise de couleur ou d’un désuet ornement de plafond. La construction n’a pas subi de démolition. Des photos d’époque montrent des casemates habillées façon cabanes au Canada, sur des esplanades fleuries des soldats joviaux fument leur pipe. Un autre passé git à quelques kilomètres avec les ruines du château de Pierre-Percée abandonné depuis le XVe. Ici, sur une éminence, les vestiges d’une autre tour du XIIIe auraient servi d’observatoire aux Français. La recherche des emplacements requiert de longues heures de marche dans un site absolument pas sécurisé. Il n’est pas rare dans une tranchée de tomber sur l’entrée d’une galerie de mine à la béance impudique s’enfonçant dans les entrailles de la montagne. Grottes et cavités dans le rocher sont nombreuses, la forêt est calme, les cartes difficiles à interpréter mentionnent à peine les édifices. En hiver, vous ne croiserez que des chasseurs. R.C.
Thil 2008 France (Côte d’Or)
La butte de Thil en fera encore fantasmer plus d’un qui, las de se traîner au volant de sa berline confortable sur l’autoroute du soleil, admire comme dans un beau livre ce doux paysage de la Bourgogne. Image immuable du patrimoine français figé pour l’éternité occidentale. Pourtant, la vie de Thil semble avoir connue quelques récentes vicissitudes. Lors de ma première visite, au début des années 90, le site arborait déjà une première reconstruction. Le logis, principal bénéficiaire, rendu habitable et meublé sommairement, subissait une occupation sauvage avec une amorce de vandalisme. L’intégralité du site était ouverte, tant la basilique avec sa crypte que les cuisines ruinées du château. J’y suis retourné plusieurs fois, lors de ce dernier détour, en août 2008, la propriété privée était redevenue une réalité. Clôture autour des deux monuments, location pour noces et banquets, apparemment la visite demeure possible en été (il vaut mieux s’en assurer). Une grande enceinte ovoïde de 120 m sur 60, délimite le site, elle est encore bien visible, ses murs de petits moellons s’élèvent encore à plus de 8 m. Le donjon, haute tour de guet construite au milieu du XIVe, se laisse voir à plus de 30 km, et offrirait la visibilité à 50. La butte domine largement le paysage, en sélection romaine elle offrait une position stratégique sur une voie nord-sud. Au IXe, même une fille de Charlemagne y résiderait. Les bases du site actuel datent du XIe, concomitamment à celles de la famille de Thil, qui se le transmet jusqu’en 1503. Jean II de Thil, connétable du Duc de Bourgogne puis conseiller du roi, incarne le plus illustre de la lignée. Au XIVe, il octroie rente et collégiale à des chanoines, à charge pour eux de raconter deux messes par jour. La prospérité gagne le château, mais une bande d’Ecorcheurs rôde, construction de nouvelles fortifications dont la tour de guet qui culmine à 25 m. Les belles cuisines appartiennent à la mémoire des places fortes médiévales, trois grandes cheminées accueillaient chaleureusement le produit des chasses. Au cours des années 90 toute cette partie domestique végétait à l’air libre, arbustes et ruines cohabitaient. Les voûtes en plein cintre des celliers du XIIe tenaient toujours. Richelieu en 1640, ordonne le démantèlement, finalement seul le pont-levis est détruit, la place forte réduite, le château demeure, l’abandon et la véritable ruine sont constatés à la fin du XVIIIe. La collégiale a été construite sans discontinuer de 1343 à 1350, l’ouvrage parvenu complet, résiste dans son austère aspect originel.
Le village de Précy sous Thil, juste au pied de la butte, incarne toute la quiétude de l’immuable et du séculaire. Depuis le promontoire, l’envie te prend de contempler la répétition des parcelles jusqu’à l’infini vers les monts du Morvan. Privilégie le crépuscule afin de t’assurer la solitude et l’éternité de l’instant. RC
Lusignan 2007 France (Vienne)
Un nom évocateur qui nous plonge dans les mythes fondateurs de l’histoire du moyen âge. Contrée de la fée Mélusine et surtout d’une grande famille qui émerge peu après l’an mil, avant de s’illustrer en Palestine du XII au XIVe siècles. Lorsque Hugues VIII part en orient, en 1163, il n’en revient pas, mais il fonde une dynastie qui règnera sur Chypre et le royaume de Petite Arménie. Ses fils Gui et Amauri se succèdent en 1194 à la tête de Chypre. Leur emprise s’étend sur Jérusalem, ville sur laquelle Amauri règne jusqu’en 1205. L’épisode arménien survient à l’occasion d’un mariage entre l’un des descendants, Amauri II (1272 – 1310) et Zabel d’Arménie fille de Léon II roi de Petite Arménie. Leur fils Gui devient le premier roi latin d’Arménie sous le nom de Constantin III. Le dernier régnant, Léon, baptisé Léon VI n’occupe le trône qu’une seule année, jusqu’en 1375 date de la chute de Sis (Kozan) capitale du royaume de Petite Arménie ou de Cilicie. Capturé par les Turcs, retenu pendant 7 années, après sa libération il retrouve une fonction d’ambassadeur de France en Angleterre. Il décède tranquillement à Paris en 1393. Fin de la dynastie orientale. Implanté sur un fin promontoire cerné de falaises, le château fondé au XIe par Hugues a presque disparu aujourd’hui. Le panorama, depuis les voies de circulation sur la colline d’en face, est d’un bucolisme convenu : le village suspendu sur un éperon, à ses pieds coule un cours d’eau paresseux, un viaduc ferroviaire enjambe la vallée. Image figée, comme les maigres ruines de l’une des plus puissantes forteresses de France au XIIe. L’inventaire est rapide, toutes les superstructures ont disparu où ont été noyées dans des constructions au XIXe. Seules les infrastructures, murs de soutènement adossés à la falaise, témoignent toujours ; une tour escalier engagée dans la paroi et éclairée par des archères mène à la terrasse supérieure. A proximité, un départ de couloir souterrain muré, ça et là quelques beaux pans de mur subsistent. La ville était entièrement ceinte, le château terminait l’éperon, des vestiges se retrouvent en sous-sol des habitations. Les riches heures de Lusignan se répartissent entre les XII et XIIIe, au début des années 1300 le domaine passe dans le giron royal, des aménagements importants sont entrepris à la fin de ce siècle jusqu’au milieu du suivant. Les Guerres de Religion animent la région, sous le règne de Charles IX Lusignan est démantelé, s’entame la ruine avec transformation en carrière, fin de l’agonie au XIXe. Les restes sont rasés et le plateau devient une promenade/esplanade déserte. R.C
Rochechinard 2008 France (Drôme)
Oublié, un dernier vallon sur les contreforts du Vercors. Un semblant de village avec sa chapelle, ses fermes disséminées sur les flancs et les replis de collines, tout est vert, bien arrosé. Plantées sur un piton isolé dénué de tout intérêt stratégique, à 600 m d’altitude, les belles ruines magnifient le cirque. Alternance d’une architecture purement militaire avec celle d’une véritable résidence, un mix de puissance et d’élégance projeté progressivement sur trois tours. Après un court cheminement en sous-bois, au sortir de la forêt, depuis l’isthme qui lie le piton à la montagne apparaissent immédiatement les premières fortifications. L’accumulation de systèmes défensifs est patente sur la première tour, plus nuancée sur la seconde, pour disparaître totalement sur la dernière : un logis aux délicates ouvertures renaissances, prolongé d’un jardin suspendu offrant la vue sur la plaine du Rhône. Le nid d’aigle flair le luxe, il aurait accueilli en 1483 le prince ottoman Zizim, petit frère du grand Memhet II vainqueur des derniers « Romains » d’orient. Trois familles se sont succédées du XIIe au XVIIIe. Derniers en date, les Mosnier entreprennent les ultimes travaux au XVIe et XVIIe, dont une réfection des toitures, à peine cinquante années plus tard la ruine est avérée. Il est loisible d’imaginer que, lassés de leur isolement ou peut être fauchés n’en pouvant plus d’entretenir la bête, les descendants la délaissèrent. Depuis ma première visite il y a 20 années, l’allure n’a pas changé, à l’exception des travaux de restauration entrepris par le nouveau propriétaire, un courageux illuminé qui ne ménage pas sa peine. Demandez-lui de vous conter comment, avec l’aide de trois copains il est parvenu à véhiculer et placer une poutre de 9 m pesant 1,5 tonne, en une semaine ! L’exploit force le respect, l’ampleur des travaux découragerait n’importe quel millionnaire. Hormis la tour centrale qui conserve sa voûte en coupole, les autres vestiges sont magnifiquement déchiquetés. La première tour surplombe l’arrivée, son plan est octogonal et ouvert à la gorge. Seul élément défensif face la montagne, elle se retrouve bardée de bouches à feu, par ailleurs bizarrement réparties. L’édification fait partie des grands aménagements des années 1480, l’époque également de la fin des Alleman. Cet un éloquent concentré de l’architecture militaire du XVe : angles saillants, canonnières à tir rasant, échauguette pour le flanquement, défense par le couronnement, sans oublier une petite barbacane, et bien sûr le pont-levis.
En retrait, le donjon et le logis sont implantés sur la base des premières constructions du XIIe, isolés du premier ouvrage par l’ancien fossé une structure en bois en permettait le franchissement. Aujourd’hui, vous ne pourrez pas aller au-delà, le gros donjon est fermé, il compte cinq niveaux éclairés par de belles ouvertures regardant sur la vallée, côté cour, des canonnières formaient un ultime rempart. A l’extrémité de l’éperon le dernier bâtiment offrait tout le luxe d’une résidence seigneuriale de la fin du moyen âge, cheminées, latrines et grandes baies.
Rochechinard illustration romantique du XIXe, outre des manants voisins qui pillent pour leurs masures, de nombreux chantres, peintres et poètes trouvèrent l’inspiration dans le spectacle des ruines toutes fraîches et l’austérité du monument dévoré par la forêt. R.C.
Lafauche 1997 France (Haute Marne)
Quelle bonne raison vous poussera à traverser la Haute Marne, voire d’effectuer le détour pour visiter Lafauche ? Chaumont est à 40 km et Neufchâteau à 20 au nord-est. La région couvre néanmoins plusieurs sites gallo-romains importants. Jalonnant des grands axes de l’empire : Nord-Sud depuis Lyon vers Trêves ou la traversée Est-Ouest du nord de la Gaule, Andilly, Liffol et Grand, sont des localités oubliées aujourd’hui. L’enceinte occupe un grand périmètre s’étalant sur le flanc d’une colline, le village est en dessous. 18 tours annoncées sur la périphérie, d’épaisses courtines et une vaste basse-cour vide. La partie haute est largement ruinée, engagée dans un début de forêt, seuls les soubassements subsistent bordés par un fossé profond. Il y avait là un donjon, tour maîtresse qui devait dominer le paysage, il a disparu avec la plupart des tours. La fondation du site est attestée au XIe, premier seigneur connu, Hugues de Lafauche apparaît au milieu du XIIe, jusqu’à la fin du XVe la dynastie se perpétue. Plusieurs sièges, dont un de la part de Charles le Téméraire convoitant la place. La famille d’Amboise reprend le site et entame sa modernisation, les fortifications s’adaptent à l’usage des armes à feu. Il suffit d’observer les belles canonnières des deux grosses tours toujours debout pour s’apercevoir qu’il ne s’agit pas d’un simple lifting, cet ensemble a été construit à la fin du XVe. Le visiteur ressent ici toute la puissance de feu d’un tir croisé depuis des bouches à feu digne d’un bunker. Dans la partie basse, outre les deux tours largement restaurées, se trouvait l’accès de l’enceinte. La porte, aux armes de France, était protégée par deux pont-levis. Du logis, ne demeure qu’une cavité et des soubassements qui délimitent une vaste salle et des cuisines. La chapelle se situait dans la partie haute en dessous du donjon. Au XVIIe, Lafauche, en terre Lorraine ne semble pas avoir joué un rôle déterminant dans la guerre fratricide qui oppose Louis XIII à son frère Gaston d’Orléans. Jusqu’à la révolution, la baronnie semble attractive, bien entourée par un terroir agricole certainement profitable. Plusieurs thèses divergent sur la propriété au XVIIIe, entre une descendance du duc de Lorraine et une acquisition réalisée par le fameux fermier général qui gouverne un temps la Louisiane, châtelain de Thugny-Trugny.
Demeurée une forteresse dans une contrée excentrée sans enjeux stratégiques, l’abandon puis la destruction pour la reconstruction du village paraissent inéluctables. Actuellement, le site profite d’un entretien régulier et d’une reconstruction des parties les moins abîmées. R.C.
Genos 2006 France (Pyrénées)
La vallée du Louron, au pied de la barrière des Pyrénées, a subi quelques raids sarrazins au cours des IXe et Xe siècles. Triste période bien ancrée dans la mémoire des populations locales qui édifièrent, pour se garder, des petits fortins de bois sur de petites mottes. Ils se commuèrent en ouvrages de bonnes pierres au XIIe et XIIIe. formant une ligne de petites tours défendant plusieurs vallées. A Genos, l’édifice est protégé par une enceinte, l’ouvrage est posé sur un mamelon formant verrou à la confluence de deux petites rivières : la Pez et les gorges de Clarbide. Le village est en dessous sur le flanc Sud. La vocation de ces micros édifices s’exprime plus dans le guet que le maintien d’une position défensive. Leur donjon, par exemple, ne comporte qu’une seule pièce de quelques mètres, ce faisant la voûte en berceau atteste de la qualité de construction. L’exiguë basse-cour ne pouvait pas accueillir toute la population pour un long séjour. Ces tours était bâties sur un même modèle, plan carré, accès à la seule salle par une porte l’étage, vraisemblablement par le biais d’une structure en bois. La terrasse supérieure était accessible via un orifice dans la voûte. La construction reflète également la similitude ; appareil de moellons, pour la plupart en schiste et granit issus du lit de la rivière. Chaque position communiquait avec sa voisine, tambours, fumées et pigeons sont évoqués. Pas d’histoire connue, ni de famille attachée à la motte, en revanche un écrit daté de 1532 stipule que les habitants entretiennent et défendent le château, ce qui ne l’empêche de se muer en ruine, tranquillement pillée jusqu’en 1899. L’intérieur n’est pas accessible, bien entendu la restauration est récente. La Tour voisine de Moulor possède un semblant d’histoire lié au destin des Montlaur, Genos aurait pu compter dans le fief, ce faisant il n’est pas cité parmi les biens. R.C.
Château Larcher 2007 France (Vienne)
Peu de publicité autour d’un site propice à l’apaisement et à la contemplative désuétude de la France tranquille. Quelques ruines dominent à peine le bourg, l’affaire prend enfin de l’ampleur face aux deux énormes tours qui encadrent un porche. Gazon impeccable, enduits et parements itou, enserrée dans une autre tour à côté, l’église semble avoir bénéficié des mêmes largesses, un bel ensemble d’une grise austérité. Par-delà le porche, le décor se mue en un large enchevêtrement de ruines recouvertes de végétation. Veinardes habitations qui, adossées aux courtines, possèdent d’agréables jardinets ou potagers ouvert sur ce panorama, du bucolique à l’état pur. La forteresse s’étend sur un rocher selon un axe Nord-Sud, le côté Ouest, vers le village actuel, possédait cinq tours plutôt massives. La face Est surplombe un vallon comblé de prairies et de vergers. Sur le bord Sud, un large fossé a été creusé afin d’isoler l’éperon, la tour de l’église, sert de repère, il suffit de descendre dans les douves de les emprunter pour se rendre à l’évidence, la place est d’importance, 50 de large sur 200 mètres de long. Enfin, au nord une grosse tour domine de plus 30 m le moulin alimenté par la Clouère. A l’intérieur de l’enceinte, le fort se divisait en deux parties, au nord le donjon cerné de constructions. L’ensemble se trouvait isolé par un profond fossé, relié sans doute par un pont-levis aux communs et à la basse-cour, les douves auraient été en eau. La ruine et la démolition, entamées pendant la révolution, se sont prolongées pendant tout le XIXe, chacun allant se servir contre un peu de monnaie reversée aux multiples propriétaires qui, une fois n’est pas coutume, s’enrichirent avec un château. A partir de 1870, le château devient la propriété d’un amateur éclairé, Boutillier du Retail, ce dernier entreprend des travaux de consolidation, il met fin à la carrière de pierres. L’attribution des espaces est rendue difficile par le peu de constructions debout aujourd’hui. Disparue, sur le côté Est, une vaste salle des gardes, elle a subi un démontage en règle vers 1810. Depuis la fin du XVIIe la forteresse n’était plus entretenue, abritant seulement des familles qui la convertissent en un espace agricole. La place a vécu ses riches heures du XIVe au XVIe, avec des assauts Anglais puis Français pendant la Guerre de Cent ans. Reconstruction avec adaptation au tir des armes à feu, nouveau pillage avec gros incendie pendant les Guerres de Religion, vient la période des Rochechouart qui restaurent et habitent jusqu’au milieu du XVIIe. 150 années d’oubli et de désintérêt auront raison du bon état, les révolutionnaires amorcent la démolition. En sortant du château passez au cimetière pour admirer la lanterne des morts. R.C
Châteaudouble 2008 France (var)
Ecrin de verdure, nid d’aigle, bijou provençal, niché, etc… Les offices de tourisme ne sont pas avares en poncifs lors de l’hagiographie de leurs sites. Reconnaissons que de toutes parts, le point de vue est agréable : depuis la route de la vallée du Nartuby, puis en gravissant les 150 m de dénivelé qui mènent au plateau, ou bien depuis le couronnement, perché sur les restes des fortifications. A Châteaudouble, évidemment deux châteaux protégeaient le village, en montant à droite vers les restes les plus attractifs, vous parviendrez à une tour et au cimetière. A gauche, vers la porte Sainte Anne qui s’ouvre sur les étendues agraires, les ruines sont moins attrayantes, quelques moignons de mur accrochés à des blocs rocheux. Depuis un vestige de tour, transformé en observatoire/point de vue, le panorama est complet ; surplomb du bourg et vision stratégique susceptible de prévenir toute incursion par le plateau. Le village, aux couleurs provençales, est installé à mi pente et culmine à 500m. La déambulation montante vers la crête révèle un habitat typique, ruelles, calades, terrasses, belles maisons aux frontons historiés (Rose Croix, Templiers), qui ravissent la vedette aux ruines. Tout à fait récemment, la tour du cimetière, a été reconstruite, c’est un petit ouvrage d’environ 10 m de haut sur une base carrée, l’accès s’effectuait au premier étage, aujourd’hui, elle est évidemment fermée au public. La basse cour prenait place sur le cimetière actuel, une enceinte surplombait un fossé creusé dans le rocher, plusieurs tours devaient flanquer la muraille. Il en subsiste une, complètement engoncée dans un taillis, tu y accèdes par une terrasse contiguë au cimetière. Au centre de ce plan se trouve toujours une citerne taillée dans le roc, son accès est protégé. A Châteaudouble l’histoire se mêle à celle de La Garde, un autre fort perché sur une falaise voisine, de l’autre côté de la vallée. Depuis la terrasse du cimetière, avec une bonne paire de jumelles, des vestiges de murs percés d’ouvertures sont parfaitement visibles. Au XIIIe, la châtellenie englobe toute la vallée, puis au début du XIVe, elle fait partie pendant un court laps de temps des possessions du comte de Provence, au milieu du siècle La Garde est cédé aux Villeneuve qui le désertent avant 1438. Il sera finalement démoli par les royalistes pendant les Guerres de Religion, à l’extrême fin du XVIe. Depuis Châteaudouble, il faut redescendre dans la vallée en remontant vers le nord, en direction du bourg de Figanières, rapidement un chemin ascensionnel s’engage sur la droite, hélas l’accès est privé, le site est inclus dans vaste domaine boisé et viticole. Il est toutefois possible d’obtenir des informations au caveau de dégustation situé dans un lacet, en contrebas de la route. R.C.
Trigance 2008 France (Var)
Une solide forteresse s’accroche à mi-pente juste au-dessus d’un village provençal. Une allure puissante accentuée au premier plan par deux grosses tours d’angle, l’une d’entre elles avoisine les 20m de haut. L’ensemble est en parfait état de fonctionnement, le site est devenu depuis les années 80 un hôtel de haut luxe. Corollaire à cette restauration un peu ostentatoire, la visite du château n’est pas possible, à moins de louer une chambre. Un peu cher le ticket d’entrée, d’autant que l’exploitation fait partie du groupement Relais & châteaux. Faire le tour n’est pas plus aisé, finalement tu te contenteras de la vue sur les remparts depuis les rues du village, une promenade agréable. La fondation du site est contemporaine de celle de Rougon, à quelques kilomètres plus à l’est au milieu des gorges du Verdon. Elle semble répondre au même besoin de protection pour une population locale en expansion. Une première construction, au XIe, pose les bases d’un fort qui ne cesse de s’adapter aux modes militaires et civiles. L’intérêt pour le château semble fléchir dans le second quart du XVIIIe, à cette époque le site n’est déjà plus habité, le coup de grâce sera donné en 1789, pillage puis amorce de démolition qui dure tout le XIXe. Des prises de vue d’avant sa restauration en 1960 font rêver sur l’ampleur de la ruine, en outre elles permettent de mieux percevoir les dimensions du quadrilatère flanqué de quatre belles tours. La généalogie des propriétaires est plutôt bien connue, et dominée par trois lignées familiales. Le fief est cité dés le IXe siècle dans les possessions de l’abbaye Saint Victor, elle-même intégrée au diocèse de Marseille, il apparaît demeurer ainsi jusqu’au XIe. Pendant près de deux siècles, l’histoire reste floue, des petits seigneurs s’installent. En 1247, la châtellenie est mentionnée comme partie intégrée dans les possessions d’une famille, les Glandevès ?, qui détient également d’autres petites seigneuries voisines dont Rougon. En 48, les terres sont données aux Hospitaliers, deux années plus tard le titre de seigneur de Trigance est inscrit sur le testament de Romée de Villeneuve, vassal du comte de Provence. C’est dans la famille d’un autre conseiller du comte qu’échoue le fief : les Demandoix. En 1704, au profit d’une alliance les Valbelle héritent du bien qu’ils conservent sans l’entretenir jusqu’en 1789. Au milieu du XXe, deux acquéreurs entreprendront successivement d’importants travaux de restauration. En réalité, il s’agit plus d’une reconstruction, si l’allure est conservée, des ajouts un peu kitsch inhérents à la fonction hôtelière plombent un peu l’ambiance. Une architecture plus rationnelle aurait été plus profitable. En passant sur le flanc Est, la rampe d’accès est demeurée en état, elle devait supporter un pont volant en bois. Les puissantes tours avec leurs bouches à feu rivalisent avec le paysage brutal des gorges, une forteresse surdimensionnée dans cette pauvre contrée de maigres villages. R.C.
Rougon 2008 France (Var)
Grave XIe siècle, quand les pauvres agglutinent leurs masures en torchis, aux contreforts d’un château sensé les protéger un jour. Malin XVIIIe, qui achève la ruine de tous les symboles de l’ancien régime et de la féodalité, offrant ces carcasses de pierres aux même paysans toujours aussi pauvres. Qui pourrait vivre dans trois tours fichées sur les dents d’un piton de 50 m ? Apparemment personne ne se précipitait, il semble que les seigneurs locaux aient toujours préféré une solide maison dans le village, il en est ainsi des Glandevés avant 1560 ainsi que des Brun de Castellane ensuite. Il faut imaginer la scène, au bout du canyon des gorges du Verdon, la montagne s’avance formant un verrou, l’endroit est plus que propice à toute édification de fortification. Si la vue est à 360°, tous les vents sont également au rendez-vous, accéder au site par mauvais temps est une expérience idéale pour se rompre le cou. Pour aborder les parties sommitales il faut escalader quelques rochers riches de surplombs impressionnants, côté village ou côté canyon. Il subsiste deux plateformes sur lesquelles des vestiges de soubassement permettent de définir des emplacements d’occupation, quant à leur destination, tu peux rêver ! Deux arches enjambent le vide, il y en avait au moins trois, l’une d’elles a été démolie en 2003, elle menaçait de chute. Une semblable opération de salubrité publique sur les courtines, avait déjà été organisée en 1900 afin d’épargner les habitations de tombées sporadiques. La hardiesse de ces structures dominant des à pics de plus de 50-60 m laisse songeur, quant à leur construction. L’une des arches a été soigneusement consolidée récemment, elle aurait supporté une tour. L’autre est un fragment de voûte couvrant une pièce souterraine, la partie aval disparue se trouve maintenant au pied du rocher. Les fondements de l’occupation du site dateraient du début du IXe avec la citation d’une « villa », au XIe l’insécurité doublée d’une démographie galopante requiert trois nouvelles implantations défensives dans la région. Le premier château de Rougon est construit autour de la barre des Catalans, une dénomination tardive liée à l’occupation aragonaise de la fin du XIIe, A cette époque, la Provence est rattachée au royaume d’Aragon qui s’étend également sur la Catalogne. Vers 1200, le piton est investi par l’élévation de trois tours avec dépendances, le fait est attribué à la famille des Castellane. Le village n’existe pas encore, quelques maisons sont accolées à la falaise. Quelques luttes domestiques plus tard, à la fin du XIIe, les Glandevès héritent du fief. Sous la houlette de Louis, le premier de la lignée, le château reçoit son ultime configuration. Au XVIe, le domaine passe aux mains des Brun de Castellane puis dans celles de l’abbaye de Lérins, juste avant la révolution et la ruine totale. Démantelé, les restes serviront en réemploi dans les maisons du village.
L’intérêt stratégique du lieu est indiscutable, le château est à sensation et à émotion, un formidable poste d’observation et un refuge si les affaires tournent mal.Altitude 1300 m, depuis la D952, si tu arrives de l’est, franchis le Point Sublime, ensuite une petite route t’emmène jusqu’au village, l’accès à l’éperon est possible par deux voies, la plus familiale serait celle qui débute en bas du village et grimpe dans la pierraille sous les arches. Sur l’autre face, dans les arbustes, il y a plus d’escalade. R.C.
Vaour 2008 France (Tarn)
A quelques kilomètres de Penne, Vaour est petit village de 250 âmes qui s’anime en été avec un festival de théâtre. Sur une colline à l’écart, la commanderie accueille dans sa grange écurie totalement restaurée une part des spectacles. Commué en lieu public, le site est complètement aseptisé et sécurisé, la visite sera brève. Passée l’enceinte, sous un portail armorié du début XVIIe, s’ouvre une première cour. Au fond, la grange avec sa rampe d’accès pour les chariots, à gauche le bâtiment conventuel dont il ne subsiste que le premier niveau. A l’intérieur vous y trouverez cuisines et réfectoire sous une large voûte en plein cintre légèrement surbaissée. L’état des lieux est terminé. A présent, il faut s’imaginer la commanderie jusqu’en 1910. La « Maison » des chevaliers et du commandeur, ainsi se plaisent à la nommer les érudits, se prolongeait perpendiculairement vers le nord-est par une autre aile. Le bâtiment comportait deux niveaux, au lien des deux ailes s’élevait une tour d’escalier. Le plus fort était la « Grande Maison », au milieu de la cour s’élevait un donjon d’environ 20m de hauteur, qui s’est effondré sur lui-même en 1910 (il avait été inscrit aux MNH en 1909). Difficile d’apprécier aujourd’hui, en lieu et place d’une esplanade de gravier, ce bel édifice. L’ouvrage ne manquait pas d’allure, tout le couronnement était bordé d’une galerie en encorbellement supportée par des corbeaux formant mâchicoulis, la couverture était à trois pans surmonté d’un lanterneau. Les faces étaient ornées de pilastres reliés par une voûte en plein cintre, légèrement en saillie (façon bandes lombardes). Le rez-de-chaussée abritait la chapelle, une seule nef de deux travées en ogive, deux ouvertures perpendiculaires à la nef se faisaient face, l’une pour l’accès aux laïcs depuis le cimetière, l’autre pour les clercs. Accolée plus tardivement à la face Nord, une construction servait d’église paroissiale. Depuis la révolution, jusqu’au milieu du XIXe, avant que le donjon ne soit fermé au public, le site était devenu le cœur administratif et religieux du village, les bâtiments abritaient en plus du lieu de culte, l’école, la mairie et la gendarmerie. Maintenant, imaginez les Templiers jusqu’en 1307, subventionnés par les bienfaiteurs seigneurs locaux, dont celui de Penne à la source de la fondation en 1160. Ensuite les Hospitaliers, repreneurs de la commanderie et des terres qu’ils exploitent jusqu’en 1789. Vaour ne semble pas avoir souffert du passage de Simon de Montfort ou de la résistance albigeoise de Penne. Plus soucieux de défendre leur patrimoine que « la veuve et l’orphelin » les chevaliers sont demeurés neutres dans cette affaire. Dommage, en 1574 pendant les guerres de religion, les protestants n’épargnent pas le village et le site. Nous savons que le « château » est resté occupé jusqu’au début du XXe siècle, sa ruine résulte plus d’un manque d’entretien, puis d’un pillage en règle après l’effondrement du donjon. Un coup de lame de bulldozer et le saupoudrage de quelques tonnes de graviers blancs, le site est assaini et sécurisé. A Vaour, souviens toi de ce que disait la rose au Petit Prince, il faut voir avec son cœur. R.C.
Penne d’Albigeois 2008 France (Tarn)
Avis aux amateurs de « Plus beaux villages de France » et autres patelins fleuris, Penne en Albigeois vous ravira d’importance et laissera dans votre mémoire de vacances une trace indélébile. Les inconditionnels de la ruine se contenteront de la vue Est, depuis le haut du village, lorsque la position des fortifications sur le surplomb illustre magistralement la mégalomanie de ses bâtisseurs. Depuis les rues encaissées au cœur du village, il n’est possible d’aucun recul, le rocher sur lequel repose le fort est enserré par les habitations. Inutile par ailleurs de se fatiguer, l’accès est fermé, depuis très longtemps apparemment. De vieux travaux d’entretien et de consolidation sont toujours en cours… Dans les années soixante-dix, le site était ouvert, mais les espaces difficilement attribuables tant la végétation les envahissaient. Aujourd’hui la pierre est à nu, le cheminement plus aisé, mais réservé aux fouilleurs. Ma description sera brève et empruntée à celle d’Henri-Paul Eydoux, au registre du remarquable j’ai déjà cité l’incrustation de la maçonnerie sur les déchiquetures du rocher. L’entrée s’effectue à la pointe Ouest, entre deux tours dont l’une est un véritable monolithe, l’imposante masse ne comporte en son intérieur qu’une minuscule salle de 2,50 m de diamètre. Le dessin est remarquable car il est peu usité, il s’agit d’un plan en accolade comportant un éperon. Ce type de raffinement architectonique daterait de la fin du XIVe. Certainement antérieure, l’autre tour ne compte pas d’aménagement spectaculaire, pourtant elle se trouve à l’aplomb du chemin d’accès. Vous apercevrez des fenêtres à meneaux, plutôt du XVe, et une baie romane peut être contemporaine de l’époque de la croisade contre les Albigeois. Au plus haut le donjon, entouré d’une enceinte percée d’archères. L’emprise du château est assez vaste, elle occupe tout le versant Ouest de l’éminence, les remparts s’enroulent sur les saillants de l’éperon comme une guirlande. Une vue aérienne résume assez bien la situation, la colline est orientée est-ouest, tout le village est ramassé à l’est, derrière le fort, sur le front Nord au pied de l’abrupt coule l’Aveyron, au sud s’étale la forêt. Les premières constructions et leur citation datent du XIe, mais les Romains avaient déjà occupé le lieu. En 1212, la citadelle fait la une des chroniques en supportant un siège avorté de Guy de Montfort, le frère de Simon, le site est imprenable, les croisés cèdent le terrain par manque de temps et d’effectifs. Penne rejoint définitivement le royaume en 1229 lors du traité de Paris. Raymond VII, comte de Toulouse, fait serment d’allégeance au bon Saint Louis et à l’église romaine, il reçoit en prime l’ordre de réduire Penne qui fait encore de la résistance. Bernard et Olivier de Penne qui avaient su résister aux Montfort cèdent leur colline contre un lopin plus confortable à Alphonse de Poitiers, le nouveau chef du Languedoc. C’est à partir de cette nouvelle période que seront entrepris de grands travaux, notamment le châtelet d’entrée et plusieurs corps de logis. La ruine sera consécutive à un abandon progressif du site à partir du XVIIe, ceci n’est qu’une supputation, il y a peu d’information sur la destruction du château. L.R.
Dio et Valquière 2008 France (Hérault)
Légèrement à l’écart de voies stratégiques, sur sa colline en avant d’un vallon isolé, l’imposant château de Dio subit une restauration de grande envergure. Si son aspect d’aujourd’hui donne encore l’apparence d’une ruine, la situation risque d’évoluer rapidement dans les prochaines années. Tout est prêt pour une occupation touristique high tech, Les masures « noirâtres » comme se plaisait à les décrire un chroniqueur, vont se muer en des mignardes reproductions d’un habitat médiéval idéalisé. Retour au XIIe, lorsque les premières superstructures de ce que nous voyons encore sont élevées, la place forte contrôlait deux axes. Est-Ouest, la route du col de Merquière, au vieux pont de Boussagues sur la vallée de l’Orb, et l’axe Nord-Sud, du Larzac à la plaine de l’Hérault. Au fil des siècles, la construction n’a cessé d’évoluer, s’inspirant des modes architecturales. 988 première citation, il s’agit plutôt d’une demeure patricienne, du XIIe au XIVe élévation de l’enceinte, les Boussagues seigneurs de plusieurs localités voisines acquièrent la châtellenie. Progressivement, ils vont se désintéresser de la place, survient l’abandon avec un état de ruine temporaire. Au XVIe, les Fleury récupèrent le bien par alliance et entament une vaste entreprise de modernisation façon Renaissance. Le château est vidé de ses bâtiments, seule l’enceinte subsiste, les nouveaux aménagements entraînent l’occultation des ouvertures, heureusement des stigmates demeurent sur les courtines. L’austérité militaire et défensive est égayée par la greffe d’appendices paramilitaires, mais l’imposante masse de pierre perdure. Dans la petite cour, le logis en équerre s’appuie sur les côtés Nord-Est et Nord-Ouest, au XVIIe, sacrifiant à la mode « classique » les façades se parent de belles et grandes fenêtres à meneaux. Au jeu des modénatures, la porte est surmontée d’un fronton triangulaire interrompu et encadrée de jambages en pilastre. Actuellement, seul l’extérieur se visite, le tour de l’enceinte est facilement praticable. Sur la courtine Nord-ouest, en son milieu, un ouvrage en saillie faisait assommoir et protégeait l’accès principal obturé au XVIe. Sur le couronnement, l’apport d’un rang de mâchicoulis fait plus figure d’ornement. Ajoutée également, la galerie supplémentaire communique avec le troisième niveau du nouveau logis intérieur. Les échauguettes d’apparat à chaque angle sont purement décoratives et sont datées du XVIIe. Sur le côté Sud-Ouest, les deux fenêtres superposées correspondent à la terminaison de l’une des ailes de l’habitation, à côté plusieurs vestiges d’ouvertures murées dont une baie géminée romane ornée d’un chapiteau sur colonne sont contemporaines de la première phase de l’édification. En dessous, en appui sur le rocher se trouvait une porte couverte par un bel assemblage de voussoirs en plein cintre, actuellement il ne reste plus qu’une seule ouverture taillée dans la roche, une bretèche la surplombait. Au sud-est, la face la plus exposée est devenue principale au XVIe, une porte d’accès à la cour a été ménagée dans la courtine, percée de nombreuses archères elles défendaient cette partie reliant l’éperon à la colline. Sur le reste de la muraille le système de défense se faisait essentiellement par le couronnement. Les Fleury conservent la propriété jusqu’au XIXe, la ruine était déjà engagée, faute d’entretien, des pierres sont prélevées. Une première tentative de restauration est entamée dans le courant des années soixante-dix, laissée sans suite, les travaux entrepris au XXIe mèneront sans doute à une totale remise en état, mais oubliée la ruine pittoresque et romantique. R. C.
Bruniquel 2008 France (Tarn)
L’endroit est propice, un haut roc surplombe de plus de 90 m le lit de l’Aveyron. Depuis la vallée, les belles arcatures de la galerie renaissance marque les esprits, contrastant avec la douce brutalité de la contrée. De ce côté, la masse de la construction et son balcon font irruption d’une gangue forestière. Le défilé est emprunté depuis longtemps par un axe routier qui vient du Quercy pour se rendre dans l’Albigeois. Perché sur sa falaise, le château devient incontournable pour les voyageurs. Une légende annonce que le rocher aurait supporté un fort établi pour une reine Mérovingienne, au VIe siècle. Deux châteaux se partagent l’éperon, le premier, date de la période romane, il en subsiste un donjon du XIIe, au XIIIe une vague de construction l’enserre, des corps de logis puis une vaste enceinte. Le comte de Toulouse détenait la place. Au hasard d’une querelle familiale l’espace se scinde en deux parties, un nouveau château est élevé entre 1484 et 1510. Pendant les Guerres de religion, le vieux château est incendié, il sera relevé et remanié dès le XVIIe. Au fil des siècles des aménagements sont pratiqués sur les deux sites : des éléments décoratifs et de confort, mais également défensifs, particulièrement sur l’enceinte avec la dotation de bouches à feu. Au titre du décorum, la fameuse galerie aux six arcades, dans le nouveau château, une cheminée renaissance trône dans une salle mal entretenue, une porte de l’escalier de belle facture classique et quelques belles fenêtres percées au XVIIe témoignent de l’occupation du site. Extérieurement les bâtiments conservent toute leur simplicité ou austérité, c’est selon. Jusqu’au XIXe siècle, des travaux de restauration et de modernisation sont entrepris, au final des empreintes de toutes les grandes périodes sont présentes à Bruniquel, roman, renaissance, classique et baroque. Jusqu’à présent les lieux n’ont pas été désertés, il semble que ce ne soit pas d’actualité. Chaque été, il s’y déroule un festival de musique, à l’occasion les beaux jours la foule arpente la rue principale à la recherche du souvenir inestimable. La visite du site en période estivale ne se conçoit pas sans une armée de semblables autour de soi. Certaines mauvaises langues avanceraient que ces derniers sont plus captivés par le reportage photo qui relate le tournage du film « le vieux fusil » de Robert Enrico, une vieille histoire de vengeance sous l’occupation avec des nazis. R. C
Tour du Pin 2008 France (Hérault)
Au plus haut d’un rocher dominant cette portion de Cévennes, le petit ouvrage était sans doute un simple poste de guet. Il domine un paysage de monts ondoyants recouverts de forêts, au loin vers le sud la Méditerranée scintille. A 660 m, les pierres sont desséchées par le soleil et le vent. La construction est simple ; une tour sans ouverture agrippée au rocher, bordée sur ses flancs Sud et Est par de maigres dépendances qui occupent des petites terrasses. Au sud, l’accès principal, sur le côté Ouest la porte voûtée est protégée par deux symboliques et rudimentaires archères, suit une minuscule cour défendue par une enceinte. A l’est, une construction couverte par une voûte de blocage se place dans le prolongement de la porte de la tour, il subsiste dans l’épaisseur du mur les engagements des bois de fermeture. Le couronnement a disparu, il paraît difficile d’établir le nombre de niveaux, actuellement il ne subsiste même pas l’équivalent d’un étage. La construction aurait pu être menée en deux temps, une simple tour castrale puis dans une continuité relativement proche, l’adjonction de la salle couverte sur le côté Est et l’enceinte de la courette au sud.
La tour du pin semble faire partie d’une ligne de fortification sur les premiers contreforts des Cévennes, dépendait-elle du château de Mourcairol en intervisibilité à quelques kilomètres vers l’est, ou de la petite seigneurie installée dans le château de Vieussan deux ou trois cents mètres plus bas ? L’établissement pourrait être daté du début du XIIe.
L’accès au piton n’est pas aisé et nul fléchage ne te renseignera. Depuis la D 908 dans vallée, emprunte une petite route, la D 160, qui s’engage dans un vallon vers Margal, passe à Plaussenous. Avant de redescendre vers Le Lau, sur le plateau sous une ligne de crête conclue par l’éperon qui porte la tour, tourne à droite sur une piste carrossable. Après plus d’un kilomètre, sur le flanc gauche, un sentier forestier mène à la crête avant de cheminer pendant 20 mn sur le versant Sud vers le piton qui apparaît au travers des ramures. R.C
St Michel de Mourcairol 2008 France (Hérault)
Une rareté, alors que la plupart des châteaux relativement approchable sont sécurisés et surtout rendus inaccessibles par de solides grillages, les 4ha de ruines de Mourcairol sont ouverts à tous les vents. Fouilles et travaux de consolidation sont en cours au gré des financements, la promenade fléchée est suffisamment didactique sans être prétentieuse. Depuis les Aires, en face de Lamalou les Bains sur la 908, une piste grimpe rudement sur les crêtes, mais elle demeure praticable pour tous les véhicules. Le site est à 460 m, il domine les collines des alentours avec une intervisibilité à l’est vers le fortin de la Tour du Pin. Les comptes rendus des premières traces d’occupation font état du VIIIe avant JC. Les témoignages d’une occupation domestique dès le IVe sont avérées. Au XIIe, un nouveau château s’étend sur une arête rocheuse du versant Nord-Est. à la même époque une enceinte encercle tout l’éperon. Jusqu’à la fin du XIVe une centaine d’habitants réside sur le rocher. La vie semble avoir été mouvementée, depuis l’époque carolingienne jusqu’au XIVe, la cité conforte son statut hégémonique sur les cantons voisins. Le site n’est pas directement impliqué dans la croisade albigeoise, il change simplement de mains pendant quelques années, le temps nécessaire pour les seigneurs de Mourcairol de récupérer leur bien au détour d’une bonne alliance. La peste et un passage des Anglais auront raison du piton, vient l’abandon. L’activité rurale descend dans les vallées, au XVe ne subsiste plus qu’une occupation militaire très réduite. La consécration de la chapelle Saint Michel maintiendra une activité sur le site jusqu’à nos jours avec un pèlerinage tous les 8 mai. Sa première restauration du XVIIe suit la dévastation du château pendant les guerres de religion. Au XIXe, un ermite y créchait encore, les procédures de classement figeront l’ensemble. Le château primitif se situait sur l’extrémité Sud de l’éperon, de ce côté, la déclivité est suffisante pour justifier une seule enceinte constituée de petites tours. L’une d’elles abrite une citerne à demi engagée dans la roche. La chapelle romane est devenue le totem du lieu, la fortification la plus ancienne se situe juste au-dessus, une table d’orientation occupe la sommité avec le panorama concomitant. En redescendant, sur le côté Sud, un mur de soutènement a conservé son appareil en épis, vestige pré roman. Isolée et à flanc de côte, la chapelle paraît démesurément imposante sur son socle, reconstruite au XIIe elle abritait un maître autel du Xe. En contrebas, le nouveau château rompt avec le nid d’aigle qui le dominait, les standards de confort et d’habitation évoluent, autour d’une petite cour se trouvent répartis ; les logis seigneuriaux, une salle des gardes, une cuisine, dans la proche périphérie des habitations, puis un bâtiment plus élevé signifiait le donjon. Cet ensemble était défendu par une enceinte flanquée de petites tours carrées. En redescendant vers la seconde muraille, dont il ne subsiste plus que la porte Nord, quelques fondations de maisons sont dégagées. R.C.
Châtel sur Moselle 1992 france (Vosges)

L’arrivée dans le village n’est pas glorieuse, identique à tous les bourgs industriels en friche de la vallée, usines transformées en dépôt vente, habitations datant de la reconstruction, charmante harmonie grise, rien ne laisse présager le site exceptionnel. Quelques panneaux routiers le signalent, symbole et martyr d’une défiguration modèle ou comble de l’incurie des pouvoirs publics, le plateau supporte toujours deux bâtiments des années 70 : une maison de retraite et une HLM rivalisant de pauvreté architecturale. De quoi dissuader les plus téméraires. Heureusement, la promenade au pied de la falaise bordée de supers remparts, te réconcilie avec le lieu, voire te donne l’envie de gravir la rampe d’accès pour pénétrer dans les entrailles. Il n’y a plus que ça, toutes les superstructures ont disparu, les portes, le donjon, l’enceinte Nord, seules les deux verrues émergent sur le promontoire.
L’histoire de la Lorraine passe par ici, les Vaudémont vassaux du duc édifient le premier château, entre le XIe et le XIIe, le comte de Bar récupère le domaine au XIIIe, première extension, au XIVe une bonne alliance matrimoniale fait apparaître les Neufchâtel, famille comtoise sous influence bourguignonne. Ce sont eux qui agrandissent et fortifient considérablement la forteresse. Retour dans le giron lorrain en 1544. Début de la Guerre de 30 ans, la place résiste aux sièges français, période troublée jusqu’en 1671 lorsque le démantèlement est orchestré. Dommage, le village aurait connu un autre essor à l’ombre de son immense château. Depuis 1972, l’association du Vieux Châtel organise des chantiers de fouilles qui, outre le dégagement des fossés et des salles souterraines, favorisèrent l’épanouissement total d’une bande de jeunes. R.C.
Beaufremont 1998 France (Vosges)
Vers le sud, sur les derniers contreforts des Vosges, entre Neufchâteau et Contrexéville, la derrière colline avant la Haute Marne, enfin presque … vous ne connaissez pas ? Pourtant la nature y est généreuse, verte et opulente dévorant tranquillement la grisaille de pauvres maisons ou de tristes devantures de magasins hors d’âge, souvent fermés pour toujours. Un grand château ou ce qu’il en reste, car Richelieu n’a pas négligé la place en la démantelant en 1634, comme la plupart de ses voisines. L’épisode Gaston d’Orléans et son alliance avec la maison de Lorraine a scellé pour toujours la fin de toute tentative de sédition du duché avec le royaume. La lignée de Beaufremont est ancienne, une des plus vieilles de France, l’un de ses membres fondateurs, un Burgondes, aurait ferraillé sévèrement contre les Huns en 427, contribuant d’ailleurs à leur défaite. L’histoire se poursuit dans le château jusqu’à la vente du bien à la Révolution, et sa démolition. Au début du XIXe un corps d’habitation avec des dépendances est ajouté au logis, actuellement c’est en ruine que tu peux l’admirer. J’arrivais à Beaufremont un dimanche brumeux en plein automne, la végétation toujours recouverte de sa pellicule de rosée dissimulait les murs, magnifiant le romantisme du site. Profonds fossés, puissantes tours et épaisses murailles tout convient à l’échelle des dimensions de la forteresse, une de plus imposantes de Lorraine avec ses 18 tours. Beaucoup de ruines autour des restes d’un logis qui s’apparente plus à une ferme, seuls quelques détails architectoniques trahissent la noble descendance. Je me souviens de beaux linteaux renaissance, mais beaucoup moins de la tour résidence implantée au centre de la basse-cour, dernier ajout de la fin du XVe à cet ensemble dont les fondements remontent au XIIe siècle. Quelques photos anciennes te montrent un autre monde où la végétation était encore circonscrite. R.C
Maulnes 2006 France (Yonne)
Maulnes sur une côte du Tonnerois revient de loin. Laissé pour mort à la fin du XIXe, une photo du milieu du XXe le montre dans un état de délabrement avancé. Toitures effondrées, lierre obturant les ouvertures, le parc et ses abords envahis de ronces et broussailles, un régal s’il n’était pas tombé entre les pattes du conseil général de l’Yonne, qui entend le restaurer. Aujourd’hui, tout accès est impossible grillage et barbelés empêchent même d’en faire le tour, une vraie misère, qu’avons nous fait pour mériter cela.
En attendant la remise en état totale pour que des hordes de visiteurs foulent ses sols en terre cuite du coin, empruntent le bel escalier central, déambulent dans ses pièces nues austères toujours inachevées et ressortent frustrées de ne pas en avoir plein les yeux d’un faste entendu, convenu et attendu. Maulnes est une maison très moderne, son plan, sa rationalité, son ornementation appartiennent déjà à l’époque classique.
Maulnes fut construit à la fin du XVIe, en pleine guerre de religion, pour un couple de vieux excentriques cathos et libertins, le duc et la duchesse d’Uzès. Il meurt en 1573, Louise a déjà plus de 70 ans, ils auront vécu trois années dans leur château, elle n’y revient pas et finit par mourir en 96. Souvenir cruel ou trop froid, inachevé ou désolé au milieu des forêts, certainement fauchée. Tant que le duc était là les constructions allaient bon train, le bâtiment est sorti de terre en quatre ans. Les travaux démarrent en 1566 mais il y avait déjà quelque chose auparavant, la forêt fort giboyeuse attirait les nobliaux depuis le IXe siècle. Aucun nom d’architecte, l’influence italienne est présente, Ancy-le-Franc n’est pas loin, œuvre de Serlio, il appartient au grand frère de Louise. Impossible qu’il n’y est pas eu d’inspiration d’autant que Serlio fut l’élève de Peruzzi bâtisseur de Caprarola, près de Rome, un château également au plan pentagonal.
A Maulnes, chaque angle possède une tourelle qui masque les faces adjacentes ce qui donne l’impression d’un quadrilatère. L’ensemble est couronné d’un lanterneau entouré d’une coursive qui faisait office de mirador offrant la vue sur la forêt voisine et ses bêtes rôdantes. Déjà évoqué, l’escalier centré autour d’un puits est porté par des colonnes doriques, son éclairage provient des pièces qu’il dessert et du lanterneau.
Dehors, une galerie couverte menait aux communs, une enceinte quadrilatérale et des jardins à la française ornaient le parc, aujourd’hui tout à disparu ou presque. Tu peux arriver à Maulnes par trois chemins, le Nord Ouest, l’Est, depuis le Sud la route plonge puis remonte vers le château, en arrivant sur le plateau il disparaît, l’endroit est lugubre. Il subsiste là-haut, en plein vent, de vastes bâtiments agricoles en friche, un manoir fin XVIIIe, une ou deux fermettes proprettes sur le chemin qui mène au site, à gauche. La route du Nord-Ouest que j’empruntais pour repartir reste sur les crêtes un long moment, pendant lequel j’ai vu la tour de Maulnes devenir minuscule entourée de champs vallonants. R.C.
Aux dernières nouvelles le site serait ouvert le week end
Rochefort 1996 France (Côte d’Or)
Surprenante ruine, dissimulée dans un repli de colline, elle surplombe la route qui monte vers Asnières en Montagne. Allez à Cry par la D 905, un hameau aux pieds des falaises dans la vallée de l’Armançon. A quelques kilomètres vers le sud il y a la célèbre abbaye de Fontenay et un peu plus bas encore c’est Buffon, Montbard. Humidité et grandes forêts sont propices aux histoires monacales et aux forges. Préservé des invasions, le nord de la Bourgogne conserve son patrimoine sans trop de défigurations ou d’altérations, tout s’est endormi depuis le début du XXe, à l’abri du pez, loin du foisonnement des villes. Dans la forêt, au-dessus de la route culmine un pignon, derrière lui, en enfilade toute la construction occupe l’éperon. Un chemin t’amène devant la porte fortifiée d’une grosse ferme, il y avait un pont-levis maintenant c’est un dormant restauré (en 2005), l’association qui s’occupe de la préservation du site n’en n’est pas peu fière. Quelle plaie ces bienfaiteurs qui veulent mettre la France sous cloche, hors d’eau, hors gel, préserver pour le futur, laisser des traces à “nos descendants”… ils auront suffisamment de sites industriels en friche. Je garde de mes deux visites à Rochefort un souvenir poignant, seul dans ce site aux grands murs gris envahis par la végétation.
Le rêve égoïste, occuper la ferme qui forme l’avant scène. Laisser intacte la ruine du château, débroussailler le jardin en terrasse pour y prendre le thé avec les potes à l’ombre de la grande tour d’escalier, avec à l’infini la vue rasante sur une forêt de cimes. Depuis ce balcon tu ne vois rien d’autre, que des arbres, à peine si tu entends la nationale en bas.
Abandonnée en 56, la ferme est toujours couverte, elle serait à l’emplacement de la partie forte du premier site. En traversant les bâtiments, tu parviens au jardin en surplomb, décoré dans le style néo-classique au début du XVIIIe ce seront les derniers aménagements. De ce côté, les murs du logis sont percés de grandes fenêtres à meneau, une belle façade renaissance animée par la grande tour d’escalier surmontée d’une échauguette plutôt décorative. Il ne s’agit plus d’un château fort, bien que tous les arguments défensifs du moyen âge soient représentés … seulement pour la parade.
Depuis plus de mille ans, il s’est trouvé un fort sur cette butte, première évocation au XIe, démoli par le duc de Bourgogne Jean sans Peur, au XVe. Dès la fin du siècle le château est reconstruit sur les décombres du précédent, duquel rien ne subsiste. La révolution sonnera le glas des riches heures de Rochefort, en 89 la chapelle tombe puis vers 1807 tous les aménagements en bois sont récupérés.
Combien de temps pourra t-on encore errer seuls dans les ruines de Rochefort, le nez en l’air sans se soucier du délabrement inéluctable de ces formidables et indestructibles tours. Elles finiront bien par abriter peut-être un centre de cultures médiévales, ouvert de 11 h à 17 h seulement en été, et le jardin en terrasse accueillera des mangeurs d’ice cream. Pourtant, ce lieu, en novembre quand décline un sale jour de pluie laissant les murailles suintantes toujours plus grises lorsque la brume froide arrive, ça vaut tous les Miko du monde.
Dans les bois vers Arrans, il y aurait les vestiges d’une abbaye, mentionnés sur la carte, mais jamais trouvés malgré le questionnement de plusieurs indigènes. R.C.
Noyers sur Serein 2004 France (Yonne)
Un jour des types décidèrent qu’il y aurait 100 plus beaux villages en France et chaque année inlassablement, les news hebdo le rappellent aux citadins en quête d’air pur et d’authenticité. Maintenant, les indigènes voient les volets se fermer chaque dimanche soir pour se rouvrir le samedi matin, artisans et agriculteurs cèdent leur place à prix d’or ; aux potiers, aux restaurants de spécialités bourguignonnes « sous vide ». Quand Noyers était une ville, il y avait des vignerons, des tonneliers, des maréchaux-ferrants… une ambiance bon enfant à la « jour de fête » nimbée de soleil et de cloches carillonantes. Bordé d’un côté, par des jardins fleuris en friche clos de murets moussus, et de l’autre par ses remparts sur les rives du Serein, le village vit à l’écart des routes dans la Bourgogne immobile, Auxerre est à plus de 40 km au nord ouest.
Les grandes bâtisses à toits pentus, aux volets clos, l’institution catholique légèrement à l’abandon, sommeillent. Au-dessus, sur les pentes et le plateau boisé s’élevait un grand château bordé à l’est et à l’ouest par la rivière et par un fossé au nord. Lors de ma première visite sur le front nord, seul le mur d’escarpe et un moignon de tour étaient visibles. Depuis, de considérables travaux de terrassement et de reconstruction sont entrepris avec la volonté affichée de rénover en utilisant une technique qui semble appartenir au XIIIe. Le chantier concerne deux tours et la courtine qui les relie, pas d’échafaudages métalliques, étais, plateforme, tout est en bois.
Une situation géographique idéale : une boucle cernée d’eau surplombée par un plateau, tout se prête parfaitement à l’occupation fortifiée, plutôt ancienne car la cité est antérieure à Jules César. Les traces écrites de la première fortification du Xe, évoque une tour carrée entourée d’une palissade. Au XIIe, le lieu prend de l’importance sous l’emprise d’une famille, celle de Gui de Noyers qui couronne Philippe Auguste, c’est à la fin de ce siècle que l’élévation du grand château est entreprise. La construction est rapide, au XIIIe son système défensif lui permet de résister aux assauts des troupes de Thibaut de Champagne. Au XVIe, le prince de Condé en fait le siège de la résistance huguenote, il le perd. Le site parvient entre les mains d’un seigneur brigand, Henri IV le déloge et démantèle la place en 1599. La ville renaîtra au XVIIe mais les pierres du plateau sont oubliées. Des gravures présentaient un plan du château en triangle dont la pointe Sud ouvre sur la ville basse, au nord deux rangs de murailles défendaient le logis et le donjon, l’ensemble compte une vaste emprise au sol avec plus de 20 tours. Aujourd’hui, lorsque tu arpentes le plateau, il ne subsiste que de vagues soubassements. Heureusement des panonceaux définissent vaguement les lieux. Prenez le temps à Noyers, quand plane le fumet du rôti du dimanche matin, le bourg calme et immobile te couvre. R.C
Sainte Sixte 1984 France (Isère)
Un copain avait repéré la ruine, un château en montagne dans le massif de la chartreuse au-dessus d’un patelin perdu ; Sainte Sixte et son lac, sur la commune de Merlas, en Valdaine. Surplombant une petite route, sur le versant sombre, des pans de murs se détachent du bleu brumeux des sapins. Une bifurcation vers la gauche, et au bout d’un chemin carrossable la ruine est bien là. Les murs sont noircis, la toiture est dans le salon, la tour des chambres est vide les planchers se sont fait la malle, seuls les réservoirs de chasse d’eau avec leur chaînettes qui pendouillent demeurent bien agrippés au mur. Il y avait trois étages, partis en fumée, ou alors en gravats sur le sol depuis 1944, quand les « boches » ont incendié ce qui était devenu un repère de maquisards. En réalité, le château est une belle grosse maison de villégiature pour une riche famille lyonnaise qui venait là aux beaux jours. Bien pensant, et certainement apôtre du patriarcat, l’œuvre est commanditée par un industriel qui, dans sa grande mansuétude, s’approprie un village et sa population. A la fin du XIXe, Saint Sixte est un hameau moyenâgeux, bien à l’abri, accroché à sa montagne, lorsqu’un jour tout bascule, la première automobile, puis la route, puis le manoir et enfin l’église. L’homme construit tout et n’oublie surtout pas de se rendre à l’office chaque dimanche, au premier rang, à défaut de tribune. A la sortie, il convie les hommes au château, là-haut il leur offre un apéritif accompagné d’un cigare. Celui qui me conta cette histoire, l’avait vu de ses yeux d’enfant, il m’abandonna quelques instants pour s’en aller chercher une photographie d’avant guerre. On y voit une grande maison blanche à la décoration très légèrement annotée de touches néo gothiques, néanmoins le bon goût bourgeois prédomine avec une façade encadrée de tours, une terrasse dont je ne me souviens pas si elle donnait la vue sur le lac, les sapins étaient déjà là. R.C.
Château Queyras 1997 France (Hautes Alpes)
L’histoire commence au XIe et plus sûrement en 1265. L’endroit est saisissant, j’y arrivai en fin de matinée, toute la nuit il avait neigé, pas assez pour ouvrir les pistes des crêtes. Depuis Guillestre, la route remonte la vallée du Guil, entre défilé de roches noires et fond de vallée herbeuse l’été. Le verrou, ainsi baptisé par les pros de la fortif, semble effectivement, occuper le milieu de la vallée, juste après un dernier défilé. Dans les nuages et la neige fondante la construction recouvre tout le couronnement d’un éperon, à ses pieds le village. Triste en diable, avec ses pierres grises et ses toitures en “bac acier” vaguement couvertes de mocquelotte, il plomberait le moral d’un gagnant du gros lot de la Loterie Nationale. Au-dessus c’est pire, la masse grisâtre et suintante du fort achève de me glacer pour de vrai le dos, le fond de l’air est vraiment frais. Tu sais, cette humidité persistante, qu’est ce que je fais là, les potes sont restés dans le chalet à siroter des bières en jouant au poker. Au moins j’aurai un truc à raconter ce soir, ces zouaves ne m’écouteront même pas.
J’imagine l’intérieur, des couloirs bétonnés où règne le froid, la condensation sur les murs et les voûtes, des pièces nues, des casernements sinistres aux châlits rouillés, chaque cour que tu traverses est un courant d’air, la bise souffle là-haut. Heureusement c’est fermé, de septembre à juin. La position hautement stratégique de Château Queyras a déterminé Louis XIV pour le renforcement de la place. A la suite de la révocation de l’Edit de Nantes les Savoyards et les huguenots menacent à nouveau le Queyras. Vauban s’acquitte de la tâche à peu de frais, en 1700 il agrandit la superficie du site qui se transforme en fort. La partie médiévale est englobée dans une nouvelle enceinte qui occupe tout le couronnement de l’éperon, la garnison compte plus de 200 hommes. Tout le vocabulaire militaire est bien là réuni autour du vieux donjon à l’appareil incertain dissimulé par un grossier crépi : bastion, terre-plein en demie lune pour l’artillerie, galerie voûtée à l’épreuve des bombes. Au XIXe, le système défensif s’étend aux contreforts avec des batteries couvertes, c’est l’époque Haxo. Avec la stabilisation des frontières le lieu perd de son importance et devient une caserne pour les Chasseurs Alpins, épargné par les deux guerres du XXe, l’armée s’en sépare en 1967. Parvenu intact avec ses aménagements successifs depuis le XIVe, l’agglomération et la juxtaposition des bâtiments ne charment pas, l’harmonie grisâtre de l’enduit et du schiste n’arrange pas l’affaire, l’efficacité prime, heureusement nous sommes en montagne. R.C
Gréolières 2001 France (Alpes Maritimes)
A 8OO m, dans l’arrière pays niçois, dominant la vallée du Loup, deux châteaux et un village typique pas trop touristique en été, en hiver la station de ski est un peu plus fréquentée.
Premiers témoignages au XIe, le château de Hautes Gréolières date du XIIIe comme celui de Basses Gréolières. En 1590, les guerres de religions les ruinent, celui du bas demeure entretenu jusqu’au XVIIIe quand l’autre est abandonné. Ma première visite en 85 scelle ma passion, celle de parcourir un champ de ruines où mon imagination se cale spontanément sur ma vision. Lors de mon retour, 16 années plus tard, peu de choses ont changé. Au milieu du village, le château de « Basses » est inaccessible, l’enceinte en partie ruinée est encore debout, mais une part du logis est toujours habitée. Le château des “Hautes” n’est plus qu’un champ de ruines éparpillées à flanc de montagne. Epaisses murailles en grand délabrement, cheminées accrochées à leurs murs pignons, vestiges d’habitations modestes, restes d’une vie oubliée que le soleil couchant ravive un peu tous les jours. N’espérez pas trop jouer à l’archéologue par ici, l’abandon ne date pas d’hier (fin XIXe) et le maquis défend ses pierres. Soyez à Gréolières au crépuscule, la promenade sur le côteau entre les murs, en évitant les épineux, quand tout devient calme est presque inoubliable, prévoyez un pantalon. Voilà pour ce lieu mythique. R.C.
Col de Restefond – La Bonnette 2001 France (Alpes Maritime)
A 2800 m, sur la route qui relie Nice à Barcelonnette, un des plus hauts cols d’Europe, des ouvrages de frontières de la ligne Maginot. A l’époque, la France, lasse de servir de terrain de manœuvre aux conflits européens se dotait d’un système de fortification hyper sophistiqué au positionnement moyenâgeux. Les ouvrages de Restefond furent les derniers entrepris dans la campagne de construction de la ligne, voilà pourquoi ils ne sont pas tout à fait terminés. De surcroît, l’édification était contingentée, à 2800 m la belle saison dure 3 mois, si le mode de construction est standardisé, il faut s’adapter au terrain et les ouvrages sont répartis un peu partout sur les crêtes voisines. De quoi s’amuser, d’autant que les matériaux ne montaient pas tout seul là-haut. Une partie des fortins est en pierre du pays, les plus récents sont bétonnés. De lourdes cloches tourelles en métal, estampées Thyssen, sont toujours entreposées au bord de la route sans avoir été scellées sur les casemates, au printemps les Allemands avaient envahi la Pologne. La route fut créée avec des ânes et des hommes pour les camions, remise en état dans les années soixante, elle accueillit le tour de France. La première fois que je l’empruntai, en 84 dans la brume seul au volant d’une Volvo asthmatique, j’aperçus vaguement les ouvrages, l’endroit était saisissant de désolation, quelques touristes Néerlandais, à vélo, s’échinaient pendant que mon os ne passait pas la seconde. La caisse donnait des signes de fatigue, j’avais hâte de retrouver le soleil de la côte.
Au second passage changement de décors, je me souvenais d’une route à une voie unique, défoncée, aujourd’hui un ruban de bitume serpente agréablement sur les flancs de la Bonnette, il y a une buvette au col et des hordes de voitures diesel glissent sur l’asphalte. Des panneaux en bois et plexi racontent l’histoire de Restefond. R.C
Barry 1996 France (Vaucluse)
Si vous n’êtes pas vraiment pressés d’arriver à St Tropez où si vous comptez parmi vos amis de bonne fortune résidents à St Rémi de Provence, la colline de Barry deviendra une halte ou le but d’une excursion estivale. A deux kilomètres au nord de Bollène par la D26 empruntez une petite route fléchée qui vous élèvera jusqu’à l’entrée du village. Là, parking et bonne signalétique vous renseignerons sur l’histoire de la butte et ses bons spots, la divagation est encore possible dans la garigue. Je vous enjoins d’adopter une attitude grégaire, montez fissa sur le sommet, évidemment vous jouirez de la vue sur la vallée du Rhône, le canal de Donzère, les tours de refroidissement de la centrale du Tricastin et sur tout le maquis qui vous cerne. Accessoirement, vous pouvez discerner des empilements de pierres délimitant de vagues quadrilatères, vous êtes sur l’emprise du château. Derniers vestiges de cette construction défensive datée du XIIIe, des archères basses, pratiquées dans un très épais mur, plutôt sophistiquées elles proposent pour un seul poste de tir trois fentes extérieures. Une disposition semblable, mais avec seulement deux ouvertures, est plus courante, je l’ai vue dans la muraille de Samarcande. Ensuite tu redescends tranquillement, depuis les glorieux 312 m, en sillonnant les rues de l’ancien village troglodyte.
L’occupation du lieu remonterait à la préhistoire, de nombreuses fouilles menées sur le site l’attestent, la présence de plusieurs civilisations est avérée de l’époque Gallo-Romaine au début du XXe. Encore abondamment peuplée au XVIIe, la colline se vide progressivement, des éboulements au XIXe accélèrent le processus. Les maisons sont ouvertes, quelques unes restaurées sont closes, vous pourrez vous arrêter à la chapelle qui sort de la falaise avec une belle façade classique. La promenade est très agréable, à mon avis il vaut mieux éviter les samedi et dimanche, quand les familles pique-niquent et les enfants braillent à tue-tête. R.C.
Boulbon 1996 France (Lubéron)
Entre Avignon et Tarascon, dans le massif de la Montagnette, adossé à la falaise et plantée sur un beau roc, le fort domine la plaine du Rhône. Impressionnante, cette parfaite couronne de corbeaux ornementés qui ceint toute la courtine. Les mâchicoulis qu’ils supportaient ont disparu, il subsiste toutefois par endroit des jambages décorés d’un élégant motif trilobé. Ca sent un peu le décorum, ils illustrent la fin de ce système de défense, les armes à feu deviennent efficaces au début du XVe. Néanmoins, dans la logique du système défensif de Boulbon ils ont pleinement leur fonction car la muraille est totalement dépourvue d’ouverture, tout s’effectuait par le couronnement.
Jusque dans les années soixante-dix, le site semblait parfaitement oublié et ouvert à tous les vents. Depuis, il a bénéficié d’une campagne de nettoyage correspondant à l’engouement du monde entier pour le Lubéron. Hélas le site demeure inaccessible pour cause de chute de pierres… Je me souviens des abords très soignés aux pieds du château, le village rutile de jolis massifs floraux propre à séduire les touristes dans leur quête du beau, entre deux boutiques de meubles provençaux et un antiquaire. Piètre compensation, si l’extérieur du site est séduisant, l’intérieur de l’enceinte médiévale ne recèle pas de trésor archéologique, la cour est vide et la roche à nu.
Sur les terrasses intermédiaires vous ne manquerez pas de vous interroger sur la présence d’un ensemble de murs et de bâtiments ruinés. La famille Raousset bénéficiaire des lieux, récupère un site militaire devenu désuet où plane encore l’ombre du fameux Raimond de Turenne qui rançonna la Provence entre 1390 et 99. Au tout début du XVIIe, elle décide d’investir les bases du rocher en construisant une résidence luxueuse, une habitation de quatre niveaux avec de nombreuses dépendances, des jardins en terrasse, et un grand bassin alimenté par des sources captées sur le plateau au-dessus, les aménagements occupent tout le siècle. Pas de certitude pour les constructions antérieures, l’occupation au XIIIe est attestée, la tour carrée en serait un vestige avec peut-être l’enceinte, sans son couronnement. L’agrémentation appartient au début du XVe, juste après l’épisode mouvementé des Turenne, lorsque la Provence entre dans le domaine royal. La ruine et l’abandon date de l’époque révolutionnaire, l’état de ruine est avéré en 1820. R.C.
Castellas de Roquemartine 1996 France (Provence)
Dans un écrin de provençalité authentique, une belle ruine depuis le XIVe..? avec de si beaux restes est assez rare. Considérer que le lieu est déserté depuis plus de plus de 600 ans est encore plus inimaginable. D’ailleurs certains n’hésitent pas à dater la superbe voûte sur croisée d’ogive de la seconde moitié du XVe… Le site est désert, seuls les moutons fréquentent assidûment la roche et la maigre pâture qui l’entourent. Pour vous rendre au Castellas allez aux Eyguières, une petite commune à laquelle la motte castrale, jadis indépendante, fut rattachée en 1805. Parachevons le décor, sur un piton calcaire dans un environnement plutôt aride, une puissante tour carrée de trois niveaux entourée des restes épars de sa muraille. La construction est soignée, mur à bossages, grandes salles d’apparat voûtées. Sur ses flancs, la butte a dû recevoir des habitations, depuis le sommet, on aperçoit en diverses places les restes d’une enceinte basse. Au nombre des vestiges tu peux ajouter une belle église du XIIe juste en contrebas du piton, plus loin, à l’une des extrémités de la parcelle une tour carrée garnie de niches, certainement un colombier, enfin il est aussi évoqué un moulin.
Au Xe le pog est déjà investi, des citations mentionnent un poste de péage appartenant aux comtes de Provence. Au XIIIe, le château bénéficiait déjà de ses aménagements domestiques, considéré comme un lieu de vie agréable toute une société de plaisants s’y retrouvait. Apparemment les fêtes y étaient brillantes. Longtemps les d’Albe en furent détenteurs. Indéniablement, la qualité de construction, la décoration de la salle principale sont l’apanage de la demeure d’une famille raffinée et non d’un ouvrage austère dédié à une garnison de soudards. De ce microcosme toute vie est partie, Roquemartine est un lieu oublié, sans aucun parking, voisin des Baux l’air y est respirable, les herbes de la garrigue empestent. R.C.
Rochemaure 1996 France (Ardèche)
Toujours sur la route des vacances, le site de Rochemaure propose une halte parfaite pour toute la famille. Petit village fleuri, crêperie, maisons mignonnettes, un ensemble enserré de murailles noires, comme celles du château au bout de l’éperon. Un vrai, tourmenté à souhait, sur lequel s’étire et serpente la courtine. Si vous venez du Massif Central vous ne serez pas dépaysé par la noirceur typique du basalte, élégamment relevée par la blancheur des chaînages d’angle de pierre calcaire. Du haut de ses 40 m (plus de 100 depuis le bas du village) le donjon domine allègrement, sa masse carrée est surmontée d’une tour pentagonale, il serait à l’origine de la construction, au début du XIIe. La courtine est datée du XIIIe, contemporaine du logis et de la chapelle. En réalité il y a deux enceintes, celle du château puis une autre qui descend jusque dans le vallon. Restaurée, elle a belle allure avec ses merlons tous neufs.
En remontant, sur la paroi du dyke, tu ne pourras pas manquer la tour du Guast, plus ancienne, elle serait datée du Xe ?
Depuis un certain Adhémar de Monteil, seigneur de Montélimar, six familles se succèdent jusqu’aux Rohan qui l’abandonnent définitivement en 1730, Hercule aurait vendu sa toiture pour couvrir une grange… mais depuis un bon siècle la ruine est entamée.
Résidence familiale jusqu’en 1440, il devient le siège de la puissance administrative régionale jusqu’au début du XVIIe. Dans ce laps, il subit les assauts des huguenots, au XVIe la vallée du Rhône est un vaste champ de bataille dont ces forts sont les témoins et les victimes. Je ne me rappelle que très vaguement de ma visite, un jour de grand vent, apparemment il souffle souvent de ce côté, la ruine est austère et dépouillée, la grosse pierre noire de basalte mal dégauchie n’y est pas indifférente. En fond d’écran, le paysage de moyenne montagne est très beau et vu de l’extérieur le site est encore plus saisissant. Pas de surprise, l’intérieur risque de vous décevoir, il demeure au fond du donjon une salle enterrée (citerne, cellier, oubliette à touristes). Depuis 2001 une campagne de restauration est menée.
J’encourage les stakhanovistes de la ruine à la visite d’un pont suspendu plein XIXe, à l’abandon, ils trouveront là le charme et l’aventure qui s’évaporent du dyke. R.C.
Murol 2006 France (Puy de Dome)
Je pourrais presque remercier les tristes conditions météorologiques sous lesquelles j’ai découvert cette énorme forteresse. A la mi février, il neige encore dans le Massif Central, la brume de fin de jour commence à noyer les fonds de vallée. Avant de quitter le plateau et de descendre vers St Nectaire déjà dans la pénombre, la silhouette régulière d’une construction se détache. Masse ou monolithe, il incarne toute la noirceur de la région et la soif de puissance de son bâtisseur. Encore un bénéficiaire des largesses d’un cardinal, fidèle d’un pape avignonais. Le rocher volcanique est occupé par une petite construction dès le XIIe, mais c’est au XIVe que les bâtiments prennent la tournure que nous connaissons aujourd’hui. Riche époque sous laquelle s’érigent quelques uns des plus beaux et plus forts châteaux français, Pierrefonds, La ferté Million, Vincennes… Guillaume de Murol n’a pas les moyens d’un prince, et de loin, pourtant l’œuvre de sa vie est une formidable bête qu’aucun siège ne vaincra, sachant résister aux temps. Surprenant système défensif, exclusivement par le couronnement, une seule tour donjon, absence de tours de flanquement seulement des échauguettes, moins coûteuses à construire, mais tout aussi efficaces. Il faut reconnaître que l’implantation sur des à-pic basalte dissuade toutes velléités de sape ou d’approche directe.
Après 1550 le noyau central des XIV et XVe est protégé par une enceinte destinée à résister à l’artillerie. Elle est constituée de bastions aux plans en amande. L’accès principal, au sud, se fait par une rampe entre deux murailles, vous passerez par un bâtiment entièrement ruiné, d’un style plus maniéré il est édifié par Jean III d’Estaing au début du XVIIe. Plus vraie que vraie, accolée à son ancêtre du début XIIe, une nouvelle chapelle du XIVe, époque des Murols, reprend complètement le style roman de sa jumelle. Dans la cour intérieure, l’ambiance n’est pas franchement gaie, sombre, bordée de ses hauts murs, et finalement éclairée par un maigre soleil d’hiver, aventurez vous dans la grande salle des gardes qui conserve ses voûtes et arcatures, passez à la cuisine et dans la boulangerie où les cheminées fumeraient encore. La ruine date de la fin du XVIIe consécutivement au siège infructueux de Gaston d’Orléans en 1632, suit un lent délabrement. A l’abandon par ses seigneurs, surviennent les pilleurs, manants du coin toujours ravis de trouver des matériaux à bon compte. Au début du XXe une campagne de sauvegarde est entreprise par les Monuments Historiques et orchestrée par Ruprich Robert. Dernier avantage de la visite hivernale : vous échappez à un spectacle d’animation, enfin je vous laisse imaginer l’état romantique de la ruine qui inspira Georges Sand et Maupassant. R.C.
Chalucet 1993 France (Haute Vienne)
Il pleut souvent dans le Limousin. Cet écrin de verdure en est la preuve, une luxuriante végétation enserre les murs, d’ailleurs le plan au sol des bâtiments n’est même plus visible. Premières fondations au XIIe, les principales constructions datent du XIIIe. Possession de la couronne, Chalucet a toujours résisté aux Angliches, mais pas aux voleurs. Au XIVe, le château tombe dans l’escarcelle d’un premier bandit qui rançonne dans les vallées. Puis, vint le tour de Perrot le béarnais célèbre pour sa dualité : mi grand brigand, mi chevalier, en tout cas un vrai businesman. Il rançonne, exploite, flatte et persécute à l’envi, il bâtit des aménagements luxueux dans le château pour finir par le revendre au roi pour une somme astronomique. Fortune faite il retourne dans son Béarn plein aux as.
Le règne des seigneurs pillards n’en finit pas, de nouvelles bandes s’installent, en 1593 les bourgeois et paysans des environs réclament le démantèlement. Les ruines sont vraiment considérables, notamment le donjon, dommage la végétation recouvre tout. L’emplacement est idéal, un éperon barré à la confluence de deux rivières, à l’origine il y avait deux châteaux, réunis maintenant. Du premier, plus ancien, il ne subsiste qu’une grande tour, le second du XIIIe conserve son plan en quadrilatère et une belle façade avec corbeaux, merlons et mâchicoulis. Hélas derrière ce mur ce n’est plus qu’un enchevêtrement d’arbustes, de ronce, de pierres. Il pleuvait à verse quand je visitai Chalucet, les pieds dans la boue, je me voyais à la poursuite du diamant vert, en pleine la jungle, me frayant un chemin dans les ronces, ruisselant sans pouvoir lever les yeux et contempler le délabrement des tours. Je vous recommande la traversée de Limoges à 10 km au nord avant la visite du site, juste pour vous mettre dans l’ambiance. R.C.
Crozant 1991 France (Creuse)
Sur une longue langue rocheuse, à la confluence de la Creuse et de la Sédelle se dressent, comme autant de vieux chicots sur une mâchoire, les restes des tours du château de Crozant. La figure n’est pas la plus allégoriquement correcte, mais elle illustre assez bien un panorama que le monde nous envie. J’ai visité le site un dimanche matin quand carillonnaient dans le lointain les cloches de l’office, au calme. Je doute qu’il y ait affluence record sur la barre, hormis les dimanches de printemps et d’automne ou pendant la journée du patrimoine. Depuis, la mairie a récupéré le site, des travaux sont en cours avec pour inévitable corolaire ; des horaires d’ouverture. Dommage, le lieu méritait vraiment une visite sauvage. Ruines ludiques et point de vue romantique, Armand Guillaumin, peintre reconnu des initiés avertis de la période impressionniste s’est extasié sur la contrée, Monet y serait passé aussi. Remontez jusque Cargillesse, très beau village un peu plus haut dans la vallée. Il concentre tous les clichés de notre pays, empreint de tant de suffisance nostalgique qu’il se mue en un territoire passéiste et conservateur. Le rocher s’étire sur 350 m et 25 au plus large, avec trois enceintes successives, chacune hérissée de tours. L’histoire commence au XIIe avec les Lusignan détenteurs du comté de la Marche, rebondit au XIVe quand les possessions de la famille passent aux Bourbons sous le contrôle de la couronne. En 1356 le Prince Noir en fait le siège, mais il s’y casse les dents.
Sur la crête, les sentiers frôlent l’abrupt franchissant fossés et murs d’enceinte, allant de tours en tours. La plupart des constructions datent de la fin du XIIe ou début du XIIIe : la tour Collin, la particulière tour du Renard ronde à l’extérieur et polygonale à l’intérieur, toutes avec leurs voûtes d’ogive. Dominant l’ensemble, la tour maîtresse de section carrée est attribuée au XVe. Au registre des disparues, une tour qui permettait de descendre au bord de l’eau tout en restant à l’abri, et la chapelle. La ruine date du début du XVIe, un siège réussi par les catholiques aurait entamé une tour, sans oublier un petit tremblement de terre. Vers 1640 l’affaire est entendue, la carrière de pierre peut s’ouvrir. R.C.
Ventadour 1997 France (Corrèze)
A 6 km du centre d’Egleton, à plus de 560 m d’altitude, une grande enceinte qui s’allonge sur plus de 150 m. Bien qu’elle soit effondrée en divers endroits, l’intégralité est encore parfaitement perceptible. Lors de ma visite, un chantier était en cours, la pierre blanchissait, renseignement pris, cela dure depuis 1965, à l’initiative d’un local qui parvient à mobiliser des volontaires chaque été. Le site est assez dépouillé, il est surtout très ruiné. Depuis la fin du XVIIIe il a longtemps servi de carrière, notamment pour la construction d’un pont. Le plus spectaculaire est la grosse tour ronde du XIIIe qui servait de donjon. Contemporaine, l’enceinte possède deux entrées : celle par laquelle nous pénétrons aujourd’hui est récente, elle permet le passage de voitures, plus intrigante la poterne primitive située à l’ouest, étroite et défendue par une chicane en souricière, elle ouvre sur un abrupt. Sa redécouverte lors de fouilles date de 30 années. Cette campagne permit également l’exhumation des murs d’une chapelle qui devait révéler la tombe vide du routier Geoffroy Tête-Noire. Ses exactions dans la région, pendant une quinzaine d’années, ne le l’amenèrent pas au paradis, ses adversaires, contrairement à ses dernières volontés, l’enfouirent dans une fosse commune.
L’histoire du second siège que le château ait connu, s’est déroulée en 1394. Au terme d’une année de séquestration les assiégés proposèrent aux Français de leur vendre le château pour 10 000 “romblus”, c’était sans compter la rouerie des neveux de Geoffroy. Dommage pour eux car leur piège fut éventé et toute la bande se fit gauler. Certains furent pendus, d’autres décapités, emmenés à Paris les chefs eurent droit à des raffinements tels que dans l’ordre : écartèlement, décollation et exposition de morceaux choisis aux portes de la capitale.
Dans la cour, vous pourrez admirer également un haut pan de mur. Vestiges d’une grande tour logis du XVe qui s’élevait sur trois étages et accolée à une autre construction datée de 1445, elles formaient un ensemble seigneurial. Des éléments sculpturaux trouvés dans les décombres dénotent d’un certain luxe, au regard de l’austérité des fortifications du XIIIe. De la première campagne d’édification du XIe, il paraît difficile d’attribuer des éléments visibles aujourd’hui, pourtant ce premier château a repoussé les assauts de Richard Cœur de Lion. R.C
Carbonnières 1997 France (Corrèze)
A quelques kilomètres, les tours de Merles dans leur cirque de verdure vous raviront, surtout en fin de journée… gaffe, vous risquez de ne pas être seul sur le site. Au pire ou au mieux, tout dépend de votre engouement pour les sons et lumières, vous y rencontrez des passionnés qui vous aideront à revivre l’épopée des chevaliers bagarreurs razziants les campagnes. Fin du préambule qui devrait faire gagner du temps à tous : pour les plus avertis d’éviter de passer à Merles en période touristique et pour les amateurs de paillettes, inutile d’encombrer les sous-bois perdus de Carbonnières.
L’endroit ne recèle pas de trésor et la beauté architecturale ne transcende pas votre regard, tout au plus de la rudesse. Il n’est pas difficile à trouver, depuis la N 120 prendre la D13 en direction de Goulles, puis un chemin dans la forêt. Les tours dépassent la canopée, campées sur un éperon, bien assises sur leur socle rocheux. Au XVe elles mesuraient encore plus 20 m, aujourd’hui la plus haute culmine à 18. Un escalier à vis desservait les quatre niveaux, dont une voûte subsiste, l’appareil de belles grosses pierres taillées est encore en bon état. Datées du XIIIe elles avaient surtout une fonction défensive, le site est mentionné au XIe avec des ouvrages vraisemblablement en bois.
Pas de surprise, l’intérieur des tours est tombé, je me souviens que l’accès à l’une d’elle requierait un peu d’agilité, Depuis le couronnement des tours, par delà la forêt, tu pouvais voir Merle, un chemin reliait les deux sites. Trempant dans la moiteur, l’abandon du lieu dans ces vastes bois au fin fond de la Corrèze, envoûterait le premier venu. Je suis comblé lorsque je découvre en redescendant des ruines d’habitation. Occupés depuis toujours, les versants Sud et Ouest abritaient un hameau d’une quinzaine de maisons dont une chapelle, une maladrerie, un presbytère et la maison d’un bailli. Aujourd’hui la forêt recouvre tout : les racines et les troncs ont disjoint les pierres, des murs portent encore les dernières cheminées, des linteaux sont toujours en suspension pour plus très longtemps, une cave ou deux ont conservé leur voûte. L’état de délabrement des maisons et la vigueur des arbres inclinent à penser pour un abandon lointain, pourtant la dernière occupation est de 1948. L’histoire de ces tours est liée à celle de Merle dont les Carbonnières au XIIIe en étaient suzerains, le promontoire est partagé, comme à Merle les Noailles sont dans le coup jusqu’à la révolution. Progressivement la fonction de refuge s’estompe, il faut vraiment avoir peur pour se cacher en un endroit pareil, au XVe la ruine peut débuter. Depuis peu de temps, la mairie a pris les choses en main pour une consolidation des tours, il était temps, il ne leur reste plus qu’à fixer des heures d’ouverture… R.C
Merles 1993 France (Corrèze)
Ily a des lieux qui méritent… Environnement superbe, une butte dans un cirque de verdure, au fond coule une rivière, les tours échelonnées sur l’éperon jaillissent du vert, c’est calme. En fin de journée quand tu es seul « les crabes jouent de l’harmonium », tu files de tours en tours, de surprises en découvertes.
Le rocher qui supporte les tours est dans un méandre de la Maronne, sept familles se partageaient l’espace, chacune une tour… pour les jours incertains. Se réfugiaient là des seigneurs corréziens dont les Noailles, six siècles plus tard Mallet-Steven leur construisait une villa avec une tour sur les hauteurs de Toulon, toujours la même histoire.
Dès le XIe le site est signalé , il appartient aux Merles qui le cède par alliance puis en lots au XIVe. Tout les protagonistes de l’ancien régime passent à Merles ; les Anglais, les routiers, les guerres de religion qui entament la ruine, pour un abandon progressif au XVIIe.
C’est vrai que Merles est un lieu paumé, il y pleut souvent, en atteste la luxuriance de la végétation. L’éloignement des bourgs voisins, la rudesse des lieux n’engage pas à y séjourner surtout lorsque le royaume s’agrandit et la noblesse s’assagit, les rupins rêvent de luxe et de mollesse. Je reviendrai, au milieu de nulle part, entre Tulle et Mauriac, à 10 bornes de Saint Privat en empruntant une départementale qui serpente dans les forêts. Amoureux de scènes bucoliques allez-y hors fréquentations estivales car vous risquez de vous retrouver en pleine fête médiévale, cerné de postiches affublés en bure et tuniques multicores.
Retrouvez de vraies sensations en empruntant le sentier qui reliait Merles aux tours de Carbonnières à quelques kilomètre à vol d’oiseau. R.C
Bruzac 2005 France (Dordogne)
Surplombant la Cole, une rare ruine romantique presque accessible dans cette contrée musée. Les ruines visibles datent du XIIe et du XVe, alors que le lieu est déjà mentionné dans la première moitié du XIe avec la famille Flamenc.
La fin de la journée s’annonce belle, un peu chaude, les tours dépassent la forêt, accrochées aux roches qui surplombent de 50 m le lit de la rivière. A gauche, vers Bruzac une route s’enfile en serpentant dans les bois, le turbo siffle et la température baisse un peu. Après 2 km, un chemin descend vers une ferme, l’entrée du château est en contrebas. Je laisse l’os près d’une bergerie, j’aperçois la porte fermée et un sympa panneau rouge, « forbiden », à côté une feuille me met en garde contre toute visite sauvage et me conseille, si je suis intéressé, de téléphoner. Disposition sympathique, mais je doute d’obtenir l’ouverture dans les heures qui suivent et je ne reviendrais pas immédiatemment dans la contrée. J’escalade facilement un muret, un coup d’œil me renseigne sur ma solitude, je suis dans une première cour en terrasse celle du château bas. Il y avait deux castrum sur l’éperon de Bruzac, l’inférieur et le supérieur, résultante d’un partage entre deux frères, apparement la cohabitation au fil des siècles s’est déroulé sans heurt, il n’y avait qu’une seule enceinte pour l’ensemble.
Un premier fossé taillé dans la roche tendre du Périgord isole le site de sa colline, au Nord un autre fossé sec défendait le château supérieur. Toujours sur ma terrasse ensoleillée, à gauche, j’ai un bon vieux mur d’enceinte du XIIe sur lequel s’appuie une tour d’escalier du XV, ornée de beaux mâchicoulis factices et de belles fenêtres. A l’intérieur, il y avait un escalier d’apparat, détruit vers 1920. Il desservait un corps de logis sur quatre niveaux, les cheminées s’empilent et les plus élevées sont complètes. Au niveau du sous-sol un premier réseau de souterrains sillonne la falaise, des refuges pour les manants quand passent les routiers . Un second faisceau t’éloigne du tumulus en cas d’invasion, il y aurait aussi des celliers. Au niveau supérieur, la grosse façade du XVe conserve bien son allure avec ses deux tours, dont la principale supportait le pont-levis, le blason des Flamenc et des latrines dont la descente d’évacuation est prise dans l’épaisseur du mur. D’abord l’abandon au XVIIIe, puis un démantèlement avec pillage façon carrière jusqu’au XIXe, aujourd’hui des bénévoles nettoient les espaces de leurs végétaux.
En ressortant, à 30 m de la porte, je fais le tour d’une chapelle ruinée complètement envahie par la végétation, impossible de pénétrer. Le soir en rentrant à Brantôme nous avons croisé un cerf, une biche et trois ou quatre lapins. R.C
Villebois-Lavalette 2005 France (Périgord)
A la limite de l’Angoumois et du Périgord entre Brantôme et Angoulême, sur une colline s’étale la silhouette nickel du château, autour les champs de blé bien peignés rampent très mollement. Les premières fondations sont du Xe, deux siècles plus tard construction du premier donjon flanqué de quatre tourelles d’angle en maçonnerie pleine, il n’en subsiste qu’un côté visible depuis l’extérieur de l’enceinte. Agrandi au XVe, il est en partie démoli au XVIIe, une nouvelle construction de facture classique, incendiée en 1822, a pris sa place. L’enceinte date du XIIIe, remaniée au XVIIe ses murs viennent d’être ravalés se parant d’une impeccable blancheur. En contrebas du donjon la chapelle ; ses premiers fondements sont attribués au XIe, elle s’élève sur deux niveaux largement bricolés au fil des siècles, conjointement aux remaniements successifs du château. Dépêchez-vous de visiter Villebois, ça fouille grave, à tel point que rien ne se visite, enfin presque, j’ai pu voir deux intérieurs de tours d’enceinte, le gazon de la basse-cour et une salle du XVIIe en soubassement de la terrasse. La salle basse de la chapelle, inaccessible est en péril de fouilles, quant à la salle souterraine sous le donjon originel, nada, il faudra la louer pour un mariage dans quelques années. Oubliez aussi la terrasse avec les restes du château XVIIe. Faites le tour de la forteresse, c’est gratuit et c’est tout aussi intéressant que l’intérieur. L’”écossisation” semble en marche en France, rentabilité et restauration, lieu d’exposition, location de salle, visite maigre mais commentaires passionnants par audio guide. J’ai l’impression de vivre les dernières heures de l’ère des châteaux sombres et moussus. Economie : 3 euros, c’est pas cher mais il n’y a rien à voir. R.C.
Préchac 2006 France (Gironde)
Encore merci Clément pour ce petit fort qui surplombe un barrage sur le Ciron. Sa position lui permettait certainement de contrôler la navigation, vous n’aurez aucune difficulté pour le trouver sur la D 222 en provenance d’Uzeste le site se situe juste après le pont, à gauche. En 1310, un autre neveu par alliance, Arnaud de Preyssac, bâtit au lieu dit La Trave un château qui ne renie pas l’influence familiale, un quadrilatère dont les tours d’angle sont carrées cette fois. Vous aurez quelques difficultés pour embrasser d’un seul regard l’ensemble, la végétation abondante et le bouleversement des ruines rendent difficile l’appréhension des espaces et leur attribution. Impressionnants et renversants de gigantesques blocs d’appareil reposent en équilibre sur de frêles moignons. N’incriminons pas les méfaits du temps mais un plastiquage organisé en 1454 suite à l’exécution de son occupant, Pierre de Montferrand, pour sa collusion avec l’ennemi anglais. Les avis divergent au sujet de cette démolition, d’autres sources affirment que Charles VII aurait donné la terre à Géraud d’Albret, dans cette hypothèse la destruction daterait de 1572 et serait l’œuvre des protestants. Au centre de l’enceinte subsistent les bases d’un donjon dont les parties supérieures sont renversées, j’en ai déjà parlé, vous pourrez vous amuser à reconstituer les pièces du puzzle, même combat pour l’une des tours.
La visite des ruines sera brève, pourtant le mur de la première enceinte paraissait prometteur avec sa rangée de 19 meurtrières parfaitement alignées. Les logis ont complètement disparu, conformément au dispositif « Clémentin » ils étaient adossés aux courtines. Retenez l’endroit pour pique-niquer ou faire du canoé sur le Ciron. En amont, il y d’autres ruines celles du château de la Fue ou de la Travette, sa disparition est contemporaine de celui de la Trave. Pour y accéder, il suffit de remonter la rivière à travers bois pour découvrir quelques restes de logis. Aucun fléchage, lors de ma visite j’ignorais son existence, dommage. R.C.
Budos 2006 France (Gironde)
Un exemple de redistribution, ou comment un homme influent fait preuve de mansuétude à l’endroit de ses prochains, entendons sa famille. Bertrand de Got alias le pape Clément V premier en Avignon s’est considérablement enrichi, en mixant sa maigre fortune à celle de l’église, favorisant ainsi dans la première moitié du XIVe la modernisation de quelques châtellenies voisines. Après Villandraut, la maison mère, il y eu Roquetaillade, Préchac et en 1320 Budos, une belle enceinte plantée au milieu d’une verte et vaste mer de vignobles. Un quadrilatère de 46 m sur 56 cantonné de tours cylindriques à l’exception de celle de l’ouest : une octogonale équipée de belles bouches à feu d’angle. La tour et ses dispositifs d’artillerie ne sont pas forcément contemporains, en effet les ouvrages polygonaux seraient plutôt antérieurs à la rotondité. Pourquoi une tour à pans alors que sa résistance aux projectiles est moindre, survivance d’une ancienne construction ? Toujours au registre des tours, chaque courtine en était surmontée d’une carrée, huit totems au total pour l’exaltation de la puissance de Raimond-Guilhem de Budos neveu de Clément V.
En 1521, la famille La Roque devient propriétaire, les nouveaux aménagements concernent les canonnières de la tour ouest et le crénelage avec ses arquebusières. Puis des travaux de redistribution des espaces et d’embellissements du palais sont entrepris aux XVII et XVIIIe, il n’en reste rien. Aucun souci pour visiter Budos, le château est en contrebas du village sur un mamelon cerné de vignes, son imposant fossé n’a pas été comblé. Deux façades subsistent en bon état, celle de l’entrée avec la porte surmontée d’une tour de quatre niveaux et la partie postérieure dont le mur est constellé de latrines, une constante dans la région (cf Villandrault). Le démantèlement trouve son origine à la Révolution, tout ce qui pouvait être vendu l’est, les constructions font carrière jusqu’en 1841. Si vous visitez Villandraut dans le même espace temps amusez vous à dénombrer les similitudes entre ces deux résidences fortifiées. R.C.
Villandrault 2006 France (Gironde)
Ecrasé par la chaleur, un pauvre bourg des Landes girondines. A moins de 100 m de la place
du village vaguement ombragée par ses platanes, la forteresse trône au bord de la départementale simplement isolée par son fossé. 52 m de façade, quatre grosses tours circulaires reliées par une haute courtine, la ruine est en état : couronnement dépenaillé, ouvertures béantes. Une fois le pont dormant franchis, tu pénètres entre les deux tours, la basse-cour est vaste, gauche-droite beaux restes des logis, au fond le mur d’enceinte percé de sept énormes baies centrées sur une minuscule poterne. Au delà, une passerelle franchit le fossé et t’emmène sur une terrasse protégée. Depuis cette plateforme la vue sur la courtine est captivante : tu observeras à l’extérieur des arrachements répondant à la volonté d’ériger ici deux tours symétriques à celles du porche, la façade est rythmée par une succession de latrines.
A la fin du XIIIe, la seigneurie appartient à la famille de Got dont le plus illustre membre sera le premier pape avignonais, Clément V, c’est lui qui fera du petit château d’André de Villandrado la château que nous admirons.
Forteresse à l’extérieur mais palais à l’intérieur, il fallait imaginer les bâtiments qui longeaient les trois côtés, l’escalier d’apparat qui menait aux salles de réception de l’aile gauche. Face à l’entrée cinq des sept baies de l’aile éclairaient la chapelle, l’aile droite était dévolue aux appartements privés, enfin sur le dernier côté, construite plus tardivement, au XVe, une galerie sur arcatures reliait les ailes droite et gauche.
Les six tours sont construites sur la même configuration : une cave couverte en coupole, deux étages voûtés, puis un plancher au dernier niveau, à chaque étage des latrines. Je pense n’avoir jamais compté autant de bretèches de commodités sur un même site, à raison d’un édicule par étage pour chacune des six tours qui en compte trois, sans compter les quelques autres accrochées aux courtines, nous sommes à plus de 20 latrines. Sur la face avant tu auras remarqué un ajout de construction le long de chaque tour, lors de la visite du chemin de ronde tu constateras que ces tourelles enfermaient les latrines, postérieurs à l’édification, ces conduits datent du XVIe, leur fonction était, soit disant, d’éviter la propagation des odeurs. En revanche, cela devait être redoutable dans les gaines ainsi que dans les latrines elles-mêmes. La salubrité n’est pas tout, par delà le nauséabond olfactif quel plaisir de voir des étrons rebondir ou s’écraser mollement sur les murs de cette puissante façade, à la vue de tous. Je clos cette digression éclairante sur l’élan de puritanisme qui prône la dissimulation du corps et gagne progressivement du terrain sur la liberté des moeurs et l’hygiénisme, dernière survivance de l’époque Gallo Romaine qui réussit tout de même à perdurer tout le haut moyen âge.
Au fait de sa carrière, Bertrand de Got, alias le pape Clément, confondit allègrement ses très modestes biens avec ceux de l’église, l’intérêt de cette fortune est d’une part la rapidité avec laquelle le château fut bâti en moins de dix ans et d’autre part l’héritage qu’il laissa à son neveu pour continuer son œuvre et construire Roquetaillade.
Durant les XIV et XVe le lieu vit au rythme de la Guerre de Cent Ans, au XVIe il supporte un siège pour déloger les protestants qui s’y réfugiaient, sa démolition est ordonnée, la tour Sud-Est est déjà sacrifiée, quand Henri IV annule l’ordonnance. En revanche, pendant la Révolution, le château déjà mal-en-point sert de carrière. Plus tard, il n’aura pas le sort de son voisin Roquetaillade réinvesti par Viollet-le-Duc. R.C.
Fargues 2005 France (Gironde)
En plein Sauternes, Yquem est à deux pas et les vins de la propriété sont renommés. La vieille forteresse médiévale est un peu oubliée dans cette écrin de nature superbement dessiné et parfaitement domestiqué. De la pelouse, aux séculaires qui bordent les allées en passant par les vignes, tout est apprêté, l’extérieur de la ruine ne dépare pas dans le paysage. Remercions toutefois les propriétaires d’autoriser l’accès aux abords des murs. L’histoire de Fargues débute en 1306, l’empreinte de Clément est toujours là, tant dans la construction que dans le financement puisque c’est encore son neveu Raimond Guilhem, celui de Budos, qui en est le maître d’ouvrage. Plan en quadrilatère flanqué de tours polygonales aux extrémités et logis sur les courtines. La bâtisse semble avoir perdu toutes velléités défensives à la renaissance pour se muer en palais résidence ouvert sur l’extérieur, contrairement aux autre constructions familiales. Quand Budos transforme sa seule tour polygonale en l’équipant de canonnière, à Fargues les archères sont maintenues mais de larges baies géminées percent toutes les courtines qui se transforment en agréables façades. Ici, tout devait être élégance, les terrasses engazonnées talutées sont cantonnées par des bastions. Les restes de l’intérieur, encore éloquents, dénotent un luxe insolent, à voir de belles arcatures de portes. L’accès au château se fait par l’habitation privée, impossible de pénétrer dans la cour. Néanmoins, depuis les baies tu peux admirer les murs pantelants des logis gagnés par une végétation luxuriante, et toujours debout, une superbe tour d’escalier surmontée d’un
édicule à la fonction vaguement défensive. Il faudrait imaginer aujourd’hui l’allure américaine du lieu s’il n’avait pas été incendié une chaude nuit d’été de 1687. Particularité de Fargues qui le distingue de ses congénères « Clémentin », un donjon extérieur, nettement en saillie du mur d’enceinte Nord-Ouest, difficile d’évaluer la hauteur de cette grosse tour carrée. Aujourd’hui, elle ne dépasse pas la courtine, et semble avoir conservé ses ouvertures d’origine. En bordure d’un haut plateau girondin le bâtiment en impose vraiment, pour arriver à Fargues allez à Langon et continuez sur la D 152, de là-haut et surtout par beau temps vous apercevrez les clochers de Bordeaux à plus de 40 km. R.C.
Rauzan 2006 France (Gironde)
Un château au cœur de la Guerre de Cent ans, longtemps aux mains de seigneurs inféodés aux Anglais. Il reviendra dans le giron français en 1453, lors de la bataille de Castillon qui rend la Guyenne au royaume. Dans les années 70, faire le tour de l’enceinte depuis le fossé était impossible, aujourd’hui c’est une agréable promenade où des bancs t’invitent à une pause pique-nique à l’ombre des hautes murailles. Seul inconvénient, le site est plus souvent fermé qu’ouvert, fonctionnarisation oblige.
A la fin du XIIIe, un seigneur mi routier mi châtelain, Raimond de Gensac est maître du lieu, il écume largement la région, sous la bienveillance laxiste de son prince, le roi d’Angleterre, occupé en d’autres endroits. De ces razzias, fortune faite et amassée, Raimond entreprend de vastes travaux de modernisation du château, il faut envisager un complexe plus important qu’aujourd’hui, sur lequel reposait l’ombre de l’imposant donjon de 31 m. Il y avait un pont-levis, un châtelet d’entrée et une enceinte qui ceinturait une première basse-cour correspondant à l’esplanade actuelle. A l’intérieur, le logis a joui d’une campagne d’embellissement au XVe après la guerre, Bernard Angevin malgré sa collusion avec l’Anglais a su retourner son gilet et conserver son bien. Les traces de cette époque sont parfaitement visibles, il suffit d’observer les baies gothiques en ogive, murées, auxquelles se substituent les ouvertures plus larges à meneaux. Autres aménagements, l’escalier d’apparat coiffé de sa superbe voûte rayonnante et la petite chapelle où tu pourras admirer des culots ornés de figures. Rauzan est à l’est de Bordeaux au sud de Libourne, le village ne manque pas de charme, toutefois le ravalement total du château et le paysagement de ses abords lui ont fait perdre une bonne part de son mystère et de son austérité. Ses hauts murs campés sur son socle calcaire dominent aujourd’hui un camping avec une piscine. Quand Henri Paul (Châteaux fantastiques tome 4) se lamente de l’abandon et du désintérêt de la commune pour son monument historique, il a été entendu et certainement au-delà de ses vœux. Effectivement les choses ont bougé en 30 ans, outre un formidable toilettage, en face de l’entrée trône un office du tourisme affichant par son modernisme de bon aloi l’exploitation du patrimoine. R.C.
Noaillan 2006 France (Gironde)
Quelques kilomètres au nord de Villandraut, Noaillan n’a pas subit l’influence des Le Got, antérieure de 3/4 de siècle la seigneurie serait l’une des plus ancienne de la région. Ses Seigneurs, parfaits zélateurs des souverains britanniques, entretinrent la collusion jusqu’à la fin de la Guerre de Cents ans, depuis 1242 que cela durait… lorsqu’un de Noaillan se battit aux côtés d’Henri III à Taillebourg. Je m’étends sur la généalogie du château n’ayant pu le visiter. Les ruines sont comprises dans une cour de ferme, close par de hauts murs, qui offre de l’hébergement d’hôtes de luxe. Quant à faire le tour renoncez-y, immédiatement vous serez arrêtés, difficile voire impossible entre fils barbelés, ronces et champ de maïs, les lices, autrefois accessibles ne le sont plus, ou il y aurait un autre accès que je n’ai pas trouvé ? Par-dessus un mur jouxtant des gogs publics, j’ai pu contempler les quelques restes de deux bases de tours appartenants à une enceinte polygonale du XIIIe. Apparemment, il subsisterait des éléments de logis du XIVe dans la ferme. Seul bâtiment parfaitement conservé et visitable la chapelle castrale devenue paroissiale garde son clocher pignon à cinq baies typique de la Guyenne.
Je reprends l’histoire, dans le dernier quart du XIVe le château passe aux mains des de la Motte, moins asservis à la couronne d’Angleterre, qui le récupère pour le donner à Bernard Angevin déjà seigneur de Rauzan. Moins habile sur cette terre, il doit s’incliner devant les la Motte qui le conserve jusqu’à la fin du XVIIe, malgré une vente en 1567 cassée en 1578. Finalement la famille Duroy de Suduiraut demeure jusqu’à présent maîtresse des lieux avec un sérieux passage à tabac lors de la Révolution.
Pourquoi parler d’un tel lieu : pauvre en vestiges, sans recul pour la vue d’ensemble extérieure et qui de plus ne se visite pas ? R.C.
Broue 2005 France (Charente Maritime)
27 m au-dessus du zéro, la tour de Broue domine fièrement à perte de vue le marais Saintongeais. Il en faut peu pour en faire une place forte redoutable dans ce plat pays riant, balayé par le vent. Au XIe siècle un bras de mer baignait le pied de l’éperon sur lequel repose le château, en fouillant un peu peut-être trouverait-on des quais et des anneaux ? La motte sur laquelle repose le reste de la tour est artificielle, un fossé et une enceinte l’entouraient, quelques fragments sont encore visibles. Récemment, le mur subsistant du donjon ainsi que son environnement ont été restauré avec application, la pierre calcaire est bien blanche et le passage sous la muraille qui amusait tant petits et grands n’est plus, comblé pour des raisons de sécurité. L’allure de la tour ressemble à tous ces grands donjons logis des XIe et XIIe, avec leurs grands contreforts plats et leur monolithisme. Foulques Nerra, le maître d’oeuvre de Langeais et de Montbazon, entre autres, pourrait être à l’origine de cette construction. La vue sur le marais et l’approche de la tour sont sans doute plus intéressants que le monument lui-même. Seuls, désuets, accrochés à la paroi deux ou trois équipement domestiques persistent : une belle cheminée, des latrines, les emplacements des planchers. Seul survivant, le mur Ouest a conservé sa hauteur initiale de 25 m, son emprise au sol était de 20 m sur 16.
Prémisses d’une fin annoncée, en 1244 le seigneur du lieu est condamné pour n’avoir pas curé le chenal, l’envasement progresse. La mer finira par se retirer inéluctablement au XIVe, le sel ne transitera plus par Broue. Inutile le château est désaffecté au profit de Brouage plus au large. Aujourd’hui la cité se dessèche à l’abri de ses remparts à “la Vauban”, charmant endroit avec son petit port au milieu des terres où paissent des vaches et passent des cigognes. R.C.
Saint Jean d’Angle 2005 France (Charente Maritime)

Les douves sont en eau, le pont dormant, présente une étroite porte en ogive défendue par une tour et surmontée d’un rang de mâchicoulis. A droite, le corps d’habitation fait également fonction de courtine, l’aménagement de ces bâtiments aux larges ouvertures date de la seconde phase, celle du XVIIe, à gauche la muraille part en arc de cercle consolidée par d’importants contreforts, le mur est épais, il rejoint la partie habitée protégée par une tour carrée en saillie sur les douves. Dernier contraste, alors qu’un infâme marigot aux eaux boueuses et saumâtres encerclait encore le château, aujourd’hui un beau plan d’eau sombre reflète des parois impeccables. Pourquoi pas un plan en quadrilatère avec des tours de flanquemement ? Pour un fort de plaine la règle était évidente mais la construction est antérieure au système philipien. L’enceinte haute et ressérée forme elle même un donjon. Supputation oiseuse d’un observateur : au milieu d’un champ voisin, une photo aérienne montre au sol une grande tache carrée, hâtivement attribuée à un donjon… Quelle aurait été la pertinence d’une tour maîtresse sans défenses naturelles ni militaires alors que le fort est solidement isolé à côté ? R.C.
Surgères 2005 France (Charente Maritime)
Au centre d’une petite ville calme, avec son marché le samedi et le mercredi matin. Le dimanche après midi, quand le temps est maussade les familles y poussent landaus et poussettes. Hormis l’enceinte, il ne subsiste pas grand’chose, heureusement elle a plutôt belle allure avec les restes bricolés de ses tours. Première surprise, la grosse tour à l’horloge semble avoir été retournée, difficile d’expliquer ce mur rectiligne qui ferme la tour… du côté extérieur, quand elle est circulaire à l’intérieur. Restauration et reconstruction au plus simple ? Le château a subi de lourdes démolitions lors des guerres de religion. Après la chute de La Rochelle, Richelieu démantèle le site. Viennent l’oubli révolutionnaire et la mutation du patelin qui passe de l’ère féodale au productivisme industriel, puis agricole en décadence maintenant.
Les premières traces d’un château sont datées du Xe : une motte féodale artificielle au bord d’un ruisseau, édifiée par les comtes de Poitiers. Le village prend forme autour du site et de l’ église Saint Pierre, au XIIIe le bourg se développera à l’une des portes du village, ce qui justifie la position excentrée actuelle du château. Du Xe au XIIe siècle les comtes exercent leur pouvoir via des hommes de mains. Le premier d’entre eux s’appelle Guillaume, ses descendants s’arrangent pour conserver la châtellenie. Lorsque la Saintonge passe sous le contrôle des Plantagenêts avec le mariage d’Henri et d’Aliénor, Hugues de Surgères devient le seigneur en titre. Riche époque, c’est à ce moment que les remparts sont élevés, ainsi que la superbe église romane Notre Dame qui se trouve dans l’enceinte. Des vestiges du passé médiéval de Surgères, ce bâtiment est vraiment le plus attirant avec le régulier faisceau d’arcatures et de colonnes de l’apaisante façade romane. Au-dessus du transept la tour lanterne polygonale trapue, colabore aussi à l’époque, avec un rendu élégant et léger rythmé par ses 16 hautes lancettes encadrées de colonnettes. Attention, Viollet-le Duc est passé par là. L’ensemble est bien sûr parfaitement restauré et régulièrement nettoyé, le charme opère en fin de journée lorsque tout s’embrase sous les derniers rayons. En sortant vous ne manquerez pas d’admirer l’austérité du châtelet d’entrée avec les saillies des abattants de son pont-levis, dormant depuis longtemps. Immense avantage, vous pourrez stationner votre véhicule aux pieds des murs, un immense parking de supermarché vous attend. R.C.
Taillebourg 2005 France (Charente Maritime)
Un vrai château fort avec des batailles, des démolitions, des reconstructions, des illustres qui y couchent, tellement de faits qu’il n’en reste rien, enfin pas tout à fait. Une tour médiévale tant restaurée qu’elle prend l’allure d’un château d’eau et de beaux communs seuls vestiges de la dernière évolution du site au début du XVIIIe. Depuis 1822, sur la terrasse, il n’y a plus qu’un beau parc public offrant un superbe point de vue sur la charente, et certainement des fouilles à entreprendre. L’occupation du site remonte au VIe après JC, un tronçon de voie romaine surélevée reste toujours utilisée lors des crues du fleuve. Pourquoi de tels enjeux sur un petit village sombre et moribond aujourd’hui ? A Taillebourg,
Auparavant, il y avait là le seul pont sur la Charente avant l’estuaire, d’ailleurs la plus fameuse des batailles qui opposa Saint Louis à Henri III s’est déroulée autour du pont. La victoire française redonnait à Louis IX son emprise sur les terres françaises du roi d’Angleterre, ce dernier lui rendait hommage. Voilà pour l’épisode de 1242. des hôtes de marque entraînèrent leur armée ou leur épouse ici, nuit de noces sans succès pour Louis VII et Aliénor, une victoire pour Richard Cœur de Lion qui razzie le château en 1179, un camp de base pour Charlemagne lors de sa croisade contre les Sarrazins, la chute pour Jacques Cœur qui s’y fait arrêté en 1451, le nomade Charles VII y dormira aussi. Plus tragique, les guerres de religion puis la Fronde entraîneront en 1652 la démolition du site médiéval. Ultime reconstruction, à partir de 1715, d’un bâtiment de Style Classique avec toit terrasse et balustres, à la révolution partage et vente, en 1822 il brûle. R.C.
La Hunaudaye 1990 France (Bretagne)
Les vacances en Bretagne comportent toujours le risque d’une météo pluvieuse. Quand la plage est tellement grise que vous ne pouvez plus contenir une marmaille qui braille, évadez-vous du mobil home. Destination des jours sans soleil, nombreux dans cette Bretagne entre Rennes et St Malo, à La Hunaudaye tout est fait pour accueillir les chalands petits et grands. Le château se trouve dans une cuvette, la grosse masse grise en impose vraiment, à plus forte raison si la pluie menace. Isolé, dissimulé par la forêt, le village le plus proche est Plancoêt près de Dinan, mais rassurez-vous le fléchage est parfait. Avant la reprise en main par les Monuments de France une sauvegarde à l’allemande, des animations costumées et festivités médiévisantes, nul ne s’arrêtait là. En 90, la dimension centre de profits était déjà prégnante, je sentais se profiler le spectre du parc d’attractions. Entretenez le rêve le plus longtemps possible en faisant le tour des larges fossés presque comblés, laissez-vous dominer par ces cinq puissantes tours et courtines bien hautes en bel appareil de granit. Prenez le temps d’admirer l’entrée double, pour piétons et charrettes, bien protégée par sa grosse tour ronde affichant un bel état d’indestructibilité.
Maintenant vous pouvez payer et pénétrer. A l’intérieur, le décor est rongé, plus de logis seigneurial, seul souvenir d’un standing révolu, une belle porte du XVIIe, avec un départ de volée d’escalier, disparition totale des intérieurs des tours, autant de tubes vides abonnés aux courants d’air et aux cris d’oiseaux, seule celle de l’oratoire possédait une voûte, ailleurs ce n’était que poutres et planchers.
La construction affiche la richesse des Tournemines qui reconstruisirent le château à la fin du XIVe, sur les restes de l’ancienne forteresse du XIIIe. Adaptées aux armes à feu d’improbables canonnières sont implantées en dessous de grandes ouvertures, le luxe est néanmoins de mise et prévaut sur le défensif, larges fenêtres, latrines, cheminées à tous les étages. Des hôtes illustres passent à La Hunaudaye, Anne de Bretagne, puis François Premier, tout est calme jusqu’à la révolution. A cette époque, le château appartient à un pro révolutionnaire, couard ou pressé de se défaire d’un lieu en état moyen il fait appel à la Garde Nationale pour miner et incendier le site, il recevra pour ce haut fait de résistance quelques assignats. Les dernières déprédations datent du début du XIXe quand son propriétaire d’alors entreprend de le démolir pour bâtir son manoir un peu plus loin. Il y aurait eu une glacière, mais pas de donjon, symbole de la fin d’une période où l’hédonisme s’impose au défensif. Profitez du site les jours de grand soleil, vous y gagnerez le calme et vous verrez le granit scintiller, enfin avec un peu de chance vous éviterez les figurants costumés. R.C.
Clisson 2005 France (Loire Atlantique)
Le château est en plein milieu du bourg, qu’il écrase de toute sa hauteur et surtout de sa masse.
Les premières constructions datent du XIIIe, la seconde période d’élargissement avec une enceinte adaptée aux armes à feu remonte au XVe. Il subit quelques ajouts dont des bastions et des ponts-levis au début du XVIIe sous le règne d’un gros jaloux, le duc d’Avaujour. Au XVIIIe les Rohan vendent tout le mobilier, en 1793 les Français incendient le château, tout grille y compris le patelin. Triste siècle pour Clisson, le vieux donjon du XIVe s’effondre à moitié sur lui-même un soir de noël de la mi XVIIIe, une chance pour ses occupants installés dévotement au frais pour une messe dans la chapelle.
Vous trouverez dans la cour principale un puits garni d’une plaque qui relate une histoire dont le public se repaît. En 1794, une famille est massacrée et précipitée par dessus la margelle, ensuite les mecs, une colonne de vendéens assoiffés de sang, le comblèrent de gravas. En 1961, des fouilles corroborant la légende permirent effectivement d’exhumer des os et des sabots. La visite est une promenade où l’on passe d’un espace à un autre par un pont ou par le franchissement d’une enceinte. Les murs se succèdent, parfaitement restaurés et consolidés certainement un peu trop, enfin les enfants peuvent y jouer à cache-cache tranquillement. La ville de Clisson présente d’autres intérêts, le bourg médiéval au pied du site s’étale sur le cours de la Sèvre Nantaise, se prêtant aux balades sentimentales. L’amateur éclairé d’architecture éclectique ne manquera pas de trouver un caractère italianisant au bourg, l’explication est due à l’installation d’une star de la sculpture académique au tout début du XIXe. Lemot et les frères Cacault investissent une colline en face du château, un parc que ne renierait pas Hubert Robert. Parsemés dans les bois et sur l’éminence, des édicules genre fabriques égaient le promeneur solitaire ou convient les acteurs du week end sentimental à des échanges au pied d’un chêne séculaire ou autres temples d’amour. Dans le plus pur style italien agreste, vous apprécierez une magnifique ferme lombarde, plus loin Lemot s’est fait bâtir une villa patricienne face au château auquel il voue sa vie et sa fortune. Dommage, Clisson perd un peu de son âme depuis que des aménagements néo-médiévaux entachent l’authenticité, à quoi servent ces imitations de pavés anciens et bordures de trottoirs en béton, ne valait-il pas mieux laisser l’asphalte… ? Et si Lemot s’était vu interdire la construction de ses bizarreries italiennes ? Aller directement à la pizzeria pour parfaire le tableau sentimental. R.C.
Tiffauges 2005 France (Vendée)
Je n’ai rien oublié mon premier passage à Tiffauge, sur la route du départ en vacances, vers les plages tristes et monotones de la Vendée. J’émergeais d’une nuit visqueuse, recroquevillé sur la banquette grise en skaï. La Dauphine stationnait devant la porte du château, j’avais à peu près 8 ans.
Entre la Vendée et le Poitou, une grande enceinte de 18 tours sur un promontoire au-dessus de la confluence de la Crume et de la Sèvre Nantaise. Le premier château date du XIIe, il comprend un donjon, la massive porte d’entrée et la longue enceinte. Le début du XVIe augure une nouvelle période de construction dont la tour du Vidame, énorme masse de pierre parvenue intacte. En pur granit de bel appareil, c’est une formidable construction sans équivalence en Europe de l’ouest.
Depuis quelques années le site a été repris par la commune et le conseil général. Ce qui lui vaut d’être fermé la plupart du temps, ce faisant, en longeant la muraille vous pourrez escalader le mur. Les lieux sont parfaitement entretenus, ils abritent un musée de la machine de guerre, les tours sont couronnées par des mâts et des fanions, la basse-cour, outre les engins en bois, est encombrée de cahutes de foire, une atmosphère festive qui illustre parfaitement la dure vie âpre et solitaire des châtelains au moyen âge.
Nous serions à demi tenté de regretter ce bon Gilles de Retz, époque héroïque où Gilles s’illustre dans des faits de guerre remarquables aux côtés de Jeanne d’Arc sa loyale patronne. A la mort de celle-ci il retourne sur ses terres dont Tiffauges. Pour se distraire il n’a pas trouvé mieux que de violenter des jeunes gens, garçons et filles, sacrifice, sodomie et décollation sont au programme. Lors de ces bacchanales, il invitait des soudards, plus de 140 enfants essentiellement des garçons furent ainsi martyrisés. Tiffauges ne fut pas le seul lieu, il essaima dans ses trois autres possessions fuyant les populations qui s’inquiétaient devant autant de disparitions d’enfants. Lors de son procès, Gilles de Retz a révélé son enfance, brutalisé par son grand père, un bonhomme pas catholique et surtout sans aucuns scrupules. Dur moyen âge. R.C.
Vitré 1990 France (Ille et Vilaine)
La puissance et la gloire des grandes familles du duché de Bretagne.
Sur la route qui mène St Briac plusieurs détours s’offrent à nous, Vitré fait partie de ces petites villes pimpantes où le touriste s’arrête pour déguster une crêpe et l’indigène sublime son ennui dans des clubs échangistes le dimanche. Auparavant, il y avait l’office cultuel et l’alcool.
En arrivant, les toitures des tours en poivrières sont autant de totems propres à attirer le visiteur, même le plus affamé. L’excellent état du site, son utilisation quotidienne en guise de mairie et de musée pourront décevoir l’amateur de ruines romantiques, et ce n’est pas le bâtiment néo-gothique de l’hôtel de ville qui arrange l’affaire. Devant le châtelet, l’atmosphère d’un film de cape et d’épée avec Bourvil et d’Artagnan à ses côtés est plus que prégnante, voire incontournable. – En passant sous le porche les sabots résonnent, puis des voix : « holà Monseigneur venez vous rassasier à ma table… », « as tu des chevaux frais tavernier, nous repartons tantôt », « Blandine se languit de vous Monseigneur », « je n’aurai pas le temps, car la reine m’attend… » -.
Dans la cour triangulaire, chaque angle est signifié par une tour, la Saint Laurent, la Madeleine et la Montafilant, de hautes courtines impeccables les relient, d’autres tours appuient la défense, au total il y en a 13. Leur visite est possible, celle de l’oratoire se pare d’un bel oriel renaissance, la Saint Laurent abritent un petit musée, les tours du châtelet sont dévolues à l’hôtel de ville, enfin pour la vue panoramique ce sera la Montafilant, d’autres plus petites servait de latrines.
La fondation du château remonte au XIe, mais la majeure partie de ce que tu vois aujourd’hui date des XIVe et XVe siècles, avec une restauration de grande envergure au début du XXe. Il subsiste du XIIe, la configuration d’ensemble du lieu sur son éperon et un très beau porche roman. Vitré réunit tous les ingrédients du décorum populaire du château fort : des tours poivrières pointues à souhait ornées de mâchicoulis, de belles ouvertures à meneaux, qui paradoxalement voisinent avec des bouches à feu, un châtelet garni de deux tours et d’un pont-levis, enfin de hautes murailles toujours debout. Jusqu’au XVIe, le château est entretenu, modernisé, il tombe en désuétude au XVIIIe, la commune le rachète et entreprend des
travaux importants. Depuis les 46 m de la tour St laurent, en-dessous coule la Vilaine et fument les cheminées des crêperies. R.C.
Mauléon La Durbelière 2005 France (Deux Sèvres)
A Saint Aubin de Baubigné à l’écart du village, dans la cour d’une ferme de belle allure, se dresse un complexe de ruines disposé sur une pelouse parfaite quadrillée de canaux. Première impression lorsque tu viens de passer le porche : pas d’enceinte, seulement un rang de balustres qui bordent les douves. Ruine parfaite, sans entretien excessif, espace dégagé offrant une excellente compréhension du site et des attributions des vestiges. Principalement, ce que nous voyons date du XVIIe, plutôt du début, la fondation du château est donnée pour le milieu du XVe, ce faisant il existait une construction auparavant. La base féodale est toujours visible, mais avec parcimonie, les pont-levis sont devenus dormants, la façade semble avoir reculé afin de ménager une terrasse et la porte d’entrée, encadrée de colonnettes, était surmontée d’un fronton triangulaire, l’accessoire architectonique indispensable du moment. Les communs sont également remarquables, entretenus sans ostentation, ils sont toujours utilisés, la galerie aux colonnes servait de manège dans le temps, son inspiration italianisante me rappelle les grandes fermes de Lombardie.
Longtemps possession de la famille Rorthais qui, édifie et transforme le château, la place échoit par alliance en 1679 aux Larochejacquelein. Un siècle plus tard, un héritier intrépide prend le commandement des forces catholiques et royales durant les Guerres de Vendée, avec cette issue fatale pour beaucoup, y compris pour les pierres. La Durbelière n’échappe pas à son destin, l’incendie sera pour 1793 et 1794, en cinq fois.
La promenade dans les ruines est légèrement aventureuse, les tours du côté Nord et la façade arrière à l’ouest sont inclues dans la végétation, il est possible de descendre dans leurs soubassements, il y a longtemps que les voûtes sont tombées. De la partie Sud-Est, la plus démolie, il ne subsiste que deux tours dont l’une contient l’escalier qui menait aux étages du logis, l’autre est un ouvrage défensif qui s’insérait dans la courtine, aujourd’hui les planchers disparus et les corneilles sont les
derniers occupants. R.C.
Andrézé château des Hayes 2005 France (Maine et Loire)
Petit château sur sa motte, daté du XIVe, aux ruines bien avancées depuis le XVIIIe. Détruit en 1794 lors des Guerres de Vendée par des troupes républicaines dont les plus ardentes héritèrent de l’appellation engageante de Colonnes Infernales. A cette époque, les constructions étaient entourées de douves et d’un plan d’eau. Au XVIe, l’entrée est modifiée par l’adjonction d’une tour porche qui se niche entre les deux tours rondes du châtelet, occultant les dispositifs du pont-levis. Accolés, les restes d’une grosse tour flanquée se dressent encore sur toute leur hauteur. Vous vous satisferez d’une description succincte, la ruine est inaccessible, ceinte de barbelés qui protègent une stabulation libre, le port de bottes voire de cuissardes est vivement recommandé, si vous décidiez d’enfreindre le règlement de propriété.
Vous l’aurez compris, je n’ai pas vu les belles cheminées de la tour logis et encore moins la face arrière de la seule façade restante. Le château est enserré dans son enclos juste derrière les hangars de l’exploitation, piteux revers de fortune pour ce symbole qui devient l’objet de ses servants d’antan. Revanche de l’horizontal sur le vertical, quand la silhouette hautaine qui se délite peu à peu voisine avec une longère pimpante cernée de constructions métalliques multicolores. Quelques informations dynastiques : les Rochefort en deviennent propriétaires, puis au XVIIe il échoue dans le giron des Pantin de la Guère, qui l’occupent pendant tout le XVIIIe jusqu’à l’incendie de 94, ils finissent par le négocier aux Joubert-Bonnaire en 1871, 22 années plus tard il tombe dans les bras des Clermont Tonnerre. Il est toujours plaisant de trouver au hasard d’une halte dans un village une ruine mignarde qui se dégrade tranquillement sans aucun risque de sauvetage. Laissons les vaches tourner aux pieds des murs de moellons gris. R.C.
Talmont Saint-Hilaire 2005 France (Vendée)
Un luna park médiéval pour estivant vendéen des jours de pluie, et il y en a. Je ne m’étendrai pas trop sur la bordure côtière de la Vendée, lorsque souffle le vent et qu’une pluie fine brouille la platitude du paysage, la neurasthénie menace. J’y ai passé de glauques étés d’enfance. La commune de Talmont tire profit de ce laid désert d’ennui, en investissant sa vieille et grande forteresse. Dominant légèrement le bourg, la vaste enceinte élevée en galets dodeline sur le profil de la colline, à l’intérieur, les constructions semblent en piteux état, l’appareil de moellons et de galets n’arrange rien à l’affaire. Je ne ferais que le tour de la courtine car le site est fermé sans justifications, pourtant c’était un samedi d’avril, ils doivent vraiment mettre le paquet en été. Talmont est célèbre pour ses reconstitutions historiques, Camp du Drap d’Or, visite de Richard Cœur de Lion ou siège du Prince Noir.
Le site a longtemps été intégré dans les possessions anglaises avec les Plantagenêts, puis pendant la Guerre de Cent ans. Suivent des années de calme, la position devient un enjeu stratégique pendant les guerres de religion, Louis III de La Trémoille converti au protestantisme entraîne sa succession dans le chaos. A la mort de Henri IV les catholiques récupèrent le site, ils le conservent malgré de vaines tentative huguenotes.
Pendant le siège de La Rochelle, Richelieu craint que les Anglais réinvestissent le château pour en faire leur camp de base, plutôt ruinée qu’anglaise, la place est démantelée. Le dernier La Trémoille est décapité en 1794 et la ruine est vendue comme bien national. L’originalité du château repose sur sa fondation qui lui vaut d’être bâti sur les restes d’une église romane dont le donjon utilise le clocher-porche. Cette première campagne datée du XIe comprend une enceinte ainsi que le grand bâtiment accolé au mur Nord et à la tour escalier toujours en usage. Louis VII fait incendier le château, seconde période sous le règne de Richard Cœur de Lion qui le modernise en utilisant les avancées techniques et militaires héritées des croisades.
Renforcement de la façade Nord avec un mur éperon de 7 m d’épaisseur qui masque les fenêtres de la salle d’apparat, isolement du donjon par un fossé et un mur, enfin relèvement de la courtine primitive qui sera flanquée de tours. Depuis la porte fermée, j’ai pu constater l’ampleur des ruines dans la basse-cour la taille des bâtiment est encore imposante, il y reste une belle salle couverte en voûtes d’arête et croisées d’ogive. R.C.
Vaujours 1998 France (Indre et Loire)
Inutile de s’exciter, le site est clos de barbelés et de grillage, alors tu peux faire le tour, enfin un demi parce qu’il y a le marais tout autour. Henri Paul consacre un long chapitre à Vaujours dans l’un des tomes des Châteaux Fantastiques : le N°5, page 143.
Apparemment, le lieu est vraiment intéressant, aujourd’hui il s’enfonce doucement dans le marais et la végétation le recouvre méchamment. L’intérêt du site repose sur l’évolution de son plan et surtout de son extension pour répondre au développement de l’artillerie. Une première basse-cour fait office d’entrée et de zone d’exposition pour des assaillants, ceinte de murs elle est aussi défendu par un châtelet, enfin elle est isolée du château par des douves. Il y a en tout cinq ponts à Vaujours, sans compter les boulevards qui mènent aux bastions du XVIe. L’ensemble est construit dans un vrai marigot, dans le temps il y avait des vannes qui permettaient de garder au sec les constructions. Selon Henri Paul, dans les années soixante-dix l’on pataugeait déjà allégrement dans les salles voûtées des bastions. De loin, les ruines sont encore imposantes, les corbeaux supportant les mâchicoulis sont encore en place, les murs sont en gros appareil de moellons à bossage aléatoire. Les bâtiments intérieurs recouverts d’un enduit de chaux rosâtre attestent d’une disposition plutôt rare, proche du modèle “château écossais”, ce faisant à Vaujours il daterait du XVIIe. Les plus anciens murs sont datés du XIIe, le site a subi de nombreux aménagements au fil des siècles pour être définitivement abandonné et dépecé par un Anglais au début du XIXe. Il a longtemps appartenu à une famille puissante : les Bueil, qui le vendirent à Louis XIV, qui l’offrit à son amie Louise de la Vallière, qui n’y mit jamais les pieds. Entre la fange et Versailles…? R.C.
Tranchelion 1998 France (Indre et Loire)
Départ depuis Azay-le Rideau prendre la D157, un peu avant L’Ile Bouchard empruntez une petite route en direction de Crissay, longez les roches de la vallée de la Manse. Au loin sur un fond de verdure, vous apercevrez la ruine imposante de la collégiale Sainte-Marie-Saint-Jean-Baptiste dont l’accès est libre. Plus bas, vous trouverez les beaux restes du château, une tour carrée en bel appareil et un morceau de courtine submergé par la végétation. Tout est en état, mais la tour est inaccessible. Charles VII y est passé, l’on se demande d’ailleurs où il n’est pas aller celui-ci, bernard l’hermite ou manouche du val de la Loire, il tapait l’incruste un peu partout dans la vallée.
Tranchelion illustre bien la généalogie de ces petites chatellenies qui passent de mains en mains au hasard des fortunes, plutôt mauvaises, ainsi une ribanbelle de petits seigneurs se serait succédée. Peu d’informations sur la construction, peu citée dans les guides, la ruine du château date de la fin du XVIIIe.
La région regorge de petits sites à l’égal de Tranchelion, passez à Crissay sur Manse, un village éloigné des sites fréquentés. Outre ses anciens remparts, ses troglodithes, son habitat typique du Val de Loire, vous pourrez peut-être visiter les beaux vestiges d’un manoir médiéval remanié à la renaissance, la résidence parfaite d’un hobereau des champs. R.C.
Montbazon 1998 France (Indre et Loire)
Les vissicitudes d’un château féodal en plein val de Loire, qui n’a pas toujours été quiet. De tout temps des types formidables ont égayé la vie de leurs contemporains, Foulque Nerra pendant ses 70 ans de règne a fait bosser un paquet de maçons et de charpentiers, il n’aurait pas moins de 20 châteaux dont Loche et Langeais, à son palmarès. Tout a débuté avec le règne des Capet, la France est morcelée en baronnies et ça canarde dur, d’ailleurs le bon Foulque perdra Montbazon à peine les plâtres secs, pour le récupérer de haute lutte seulement 40 ans plus tard.
Nous voici devant l’un des plus vieux châteaux fort, enfin ce qu’il en reste, mais le puissant donjon de 994 est toujours debout. Habité jusqu’à la révolution, l’intérieur s’est effondré sous la constituante, depuis il est vide, menacé plusieurs fois de totale razzia par les pouvoirs municipaux il s’est maintenu grâce à des enthousiastes. Le château neuf du début du XVe n’a pas eu cette chance, après avoir accueilli les rois de France et le cardinal La Balue, il finit son existence dans le remblai de la N10 qui traverse Montbazon. Il paraît qu’il était très beau.
Voici l’énumération des hôtes prestigieux de Montbazon ; entre propriétaires et passants chronologiquement après Foulque il y eut son fils, puis Henri Plantagenêt et les Anglais, retour à la couronne avec Philippe Auguste, puis les Mirabeau, les Savary, les Craon, les Rochefoucauld, Charles VII, Louis XI, les Rohan, un tonnelier, joseph de la Ville le Roux et Perry Dudley. Une longue histoire, riche comme l’infâme vierge dorée de 10 m, qui parade depuis 140 ans au faîte de l’édifice. L’histoire dit que l’impératrice Eugénie aurait financée en partie ce truc. Ils auraient mieux fait de sauver Coucy. J’arrivais à Montbazon par l’est, dans le soleil couchant se découpait la silhouette trapue et sombre du donjon, à ses côtés la vierge brillait de ses mille feux, ils doivent l’illuminer la nuit, direction la butte par une rue creuse taillée dans le rocher. Tout était fermé. Depuis 2003, la sinistre ruine est ouverte aux visites, un formidable panneau devant le parking attend le chaland, il ne lui raconte pas moins que la terrible histoire du taulier qui brûla sa femme et “massacrit” tous ses ennemis. Superbe préambule avant la visite, chacun se demande à son tour, dans qu’elle salle la malheureuse trépassa. R.C.
Lavardin 1990 France (Loir et Cher)
En 1590, Henri IV conquiert son royaume, il apporte au pays sa stabilité politique en apaisant le conflit religieux qui le divise et pose les bases d’une véritable économie agraire. Ce rassemblement condamne les petites baronnies à se rallier définitivement à la couronne. Si les châteaux fort s’érigent en période d’instabilité, ils font les frais des réunifications, n’importe quel monarque absolu ne peut accepter de tels potentiels nids de résistance. Richelieu et Louis XIII poursuivront l’œuvre de démolition amorcée par leur prédécesseur. Vous l’aurez compris, Lavardin, bien qu’appartenant à ses ancêtres les Bourbon-Vendôme, n’échappera pas au sort des poches de résistance combattues par Henri de Navarre : le démantèlement. La ruine a 300 ans et demeure vraiment impressionnante, sa position sur une crête rocheuse au-dessus du Loir accentue ce sentiment de puissance. Dans le paysage tout n’est que collines apaisantes, lorsque tu arrives au village cette haute dentelle de ruines blanches, dont le donjon culminant à plus de 26m, se détache de son amphithéatre de verdure. En empruntant la petite route qui longe le fossé et la première enceinte, un premier regard explique les trois niveaux couronnés par ces hautes murailles.
Certainement à l’origine du fort actuel, une tour quadrangulaire épaulée par des contreforts plats, illustrerait les premières mentions d’un bâtiment construit au XIe. Vers 1130 les comtes de Vendôme récupèrent le domaine, il passe aux Bourbon en 1364 lors du mariage de Catherine de Vendôme avec Jean de Bourbon. Les grands remaniements du site datent de cette époque : la façade du châtelet d’entrée sur l’enceinte basse, la transformation du donjon en habitation cossue avec un bel escalier à vis dans l’une de ses tours d’angle du XIIe. Toujours en place, sa décoration ostentatoire en voûtes d’ogive ne supporte rien, les marches reposant sur un pilier central. En 1990, l’accès libre au site était interdit, plein chantier. Dans l’enchevêtrement des ruines, les niveaux se confondent, mécaniquement tu montes vers le donjon, belle vue sur le village juste en dessous, le Loir coule paisible. Les murs restés debout ont conservé leurs beaux mâchicoulis, à la bretonne, sur console pyramidale, et leurs décors luxueux de la fin du XIVe : superbes baies géminées, grandes cheminées, planchers sur voûtes d’ogive. Epars, d’autres restes défensifs : le mur chemise du XIIe au dos du donjon, une motte au milieu du grand fossé barrant l’éperon. Derniers aménagements du site datés du XVe au niveau intermédiaire : un logis seigneurial desservi par un second escalier à vis, une cuisine et une chapelle très ruinées. Avant de repartir passe au village, ça sent bon la France de Simenon. Lavardin est à proximité de Vendôme. R.C.
Cinq Mars 1998 France Indre et Loire
L’avantage du château féodal de Cinq Mars réside dans les très agréables chambres d’hôtes qu’il abrite dans ses communs. Les heureux occupants des trois ou quatre piaules jouissent à loisir de promenades dans les tours et les fossés. L’ensemble est agrémenté de très beaux jardins, l’un à l’anglaise, l’autre à la française offre un parcours odorant à travers des buis. J’aime leur odeur d’urine de chat, j’ai le souvenir de nombreux châteaux entourés de buis sauvage, dans le pays Cathare particulièrement.
En 1642, le marquis de Cinq Mars fut décollé sous la recommandation de Richelieu, il avait vaguement hourdi un complot avec le félon Gaston d’Orléans, immédiatement après le château était rasé.
Sa fondation date du XIe, c’est un quadrilatère flanqué de quatre tours d’angles élevées aux XIIe et XIIIe. L’ensemble est posé sur une terrasse légèrement bastionnée au XVIe et isolée de la butte par un fossé artificiel. Des tours restantes, je crois me souvenir que deux sont ouvertes, la vue est belle sur les sables de la Loire. Les jardins amènent fraîcheur, couleur et noirceur dans les profondeurs des douves obscurcies par des frondaisons. En défense du pont dormant subsiste un moineau accolé à l’escarpe.
Les hôtes profitent également d’un petit-déjeuner roboratif servi dans une grange rénovée pendant les sixties, une grande baie en place d’une porte cochère ouvre sur un sous-bois, pendant qu’une âcre fumée issue d’une authentique cheminée de cuisine rustique et refoulante, parfume délicatement la salle, les confitures sont aussi très bonnes. R.C.
Chambord 2006 France (Loir et Cher)
Immuable, depuis des dizaines d’années, l’endroit est toujours le même, la forêt et son brin de fraîcheur, l’hôtel Saint Hubert seulement un peu désuet.I Comment ne pas rêver de passer une nuit ici, au milieu de la grande forêt, quand tu sais que les biches rôdent au-dehors. Dîner sur la terrasse face au château, une vieille truite meunière desséchée dans ton assiette te fait de l’œil, la douceur t’entoure, autour de toi tu n’entends que l’anglais, le japonais, l’allemand. Je repense à ce vieux François qui voulait faire la nique au jeune Charles, tous deux avec leurs rêves européens. D’une forêt plate, fangeuse et giboyeuse, souvent brumeuse, émerge ce palais avec son taux de notoriété spontanée propre à faire pâlir n’importe quelle multinationale. Signifiant et signifié se recoupent immédiatement, à mon avis l’un des meilleurs taux dans l’imaginaire des français. Qui n’entrevoit pas les cheminées et les lanterneaux quand le mot magique est prononcé ? Description inutile, cumul de superlatifs, à partir de 1519, 1800 bonhommes travaillent à la gloire naissante de François qui, comme chacun sait, ne l’habitat en temps cumulé que quelques semaines. Il aurait au moins pu s’y faire enterrer, comme un pharaon, seulement la fin du règne fut moins glorieuse que Marignan. Quand il disparaît, en 1549, les travaux ne sont pas achevés, son fils Henri II les poursuit, Louis XIV les termine. On glose beaucoup sur la genèse du site, Léonard serait-il dans le coup, il aurait oeuvré au premier projet ? Tout est connu, à l’exception du projet perdu de 1519, aujourd’hui les archéologues se passionnent pour les fosses d’aisance, à défaut de souterrains et d’oubliettes.
L’histoire domestique du château, recèle apparemment quelques croustillants secrets. Tout commence en 1999 lorsque des types s’intéressent à l’appartement de François 1er, plus particulièrement à un conduit de latrines et à la fosse qu’il dessert. Mais, ladite cavité est obstruée, si la présence est avérée en 2001, les fouilles n’ont pas encore débuté, ce faisant tout laisse à penser que de formidables débris seront découverts, l’Egypte et Grossgrabenstein ne sont pas loin. Les mystères de la fosse royale vont-ils captiver les foules en augmentant le chiffre de 800 000 visiteurs annuels. D’autres fosses fouillées ont déjà livré leur butin : vaisselle, parure, vêtements, reliefs divers… Quant au premier Chambord médiéval, cité dès le XIIIe, personne ne sait où il se trouve, à la périphérie de l’existant ? R.C.
Château-sur-Epte 1990 France (Eure)
Je venais de toucher ma nouvelle Mercedes, elle n’avait que 23 ans, je l’ai gardée 14 ans… Une belle occasion pour une virée vers la Normandie, quand tu habites Paris c’est la destination. Ce jour-là le temps était brumeux, froid, humide et je crois me souvenir que le maître-cylindre donnait déjà des signes de fatigue.
Une agréable surprise ce petit château dans son jus, sur sa butte au-dessus de l’Epte. Bien avant, à l’époque de Richard Cœur de Lion, la vallée de l’Epte signifiait la frontière entre la France et la Normandie anglaise. De Gisors à la Roche Guyon, il se trouve un château ou une tour tous les 5 km, aujourd’hui ils sont en ruine avancée ou bien servent de fondations à des demeures des XVII et XVIIIe. Ici, point de luxe et de raffinement, un peu cernées par les broussailles et dévorées par le lierre, les fortifications conservent encore leur allure du XIIe : les courtines épousent parfaitement les formes de la motte sur laquelle se dresse toujours la tour maîtresse, ceinte d’un mur percé de petites meurtrières.
Bien sûr tout est très ruiné, toutefois sur l’enceinte extérieure, demeurent en bon état les deux tours portes carrées à contreforts avec leur passages en arc brisé. En tout, trois rangs successifs de défense : la basse-cour, puis autour de la motte et enfin un mur chemise autour de la tour.
Le site est évoqué, voire fortifié, à la fin du XIe, il s’agissait d’une tour en bois entourée d’une palissade. C’est au XIIe que l’ensemble à été élevé en pierre, à cette époque d’Henri II (Plantagenêt) règne sur l’Angleterre et l’ouest de la France. Au début du XIIIe, Philippe Auguste franchit l’Epte et récupère la Normandie en assiégeant victorieusement Les Andelys. Les petits châteaux de la basse Normandie vont se mettre en sommeil. A Chateauneuf il y aurait eu encore quelques ajouts au XIVe, la surélévation de la tour notamment. L’accès à l’intérieur de la cour n’a pas été possible. R. C.
Thugny Trugny 1998-2005 France (Ardennes)
Bien caché au fond d’un vallon, le château est au bout du village après une grande ferme, en contrebas de la route qui mène à Rethel. De toute façon, il est impossible de visiter le parc et encore moins les bâtiments, pourtant la grange sur la gauche planquée dans le bois est alléchante. Construction la plus intéressante du site, elle s’écroule doucement, une des quatre tourelles d’angle est tombée depuis ma dernière visite, une partie du mur de façade n’est plus et le toit tient par miracle. Charmant accès au site, pas de portail, un grand tapis vert invite à l’aventure quand de nombreux panneaux te rappellent que tu n’es pas chez toi.
Une simple chaîne marque l’entrée de la propriété, j’enjambe, quatre pas après, deux clébars de marque doberman, nourris au Taillefine entament la chevauchée des Walkyriees, ça calme l’aventure. Ils semblent parqués dans la cour d’honneur cernée par un vieux grillage, nous poursuivons en direction de la grange, à chaque pas les monstrueuses bestioles braillent un peu plus. A 50 m du bâtiment, ils disparaissent derrière le château et semblent encore plus proches. J’ai soudain les chocottes, ils ne feront qu’une bouchée de la clôture et fondraient sur nous comme la vérole sur le bas clergé.
C’est la seconde fois que je viens ici, outre la grange dîmière, le corps du logis se dégrade aussi, apparemment, seule l’aile qui forme aussi un châtelet d’entrée est encore habitable.
Ca transpire les dommages de guerre, bricolée par des gars du coin pour quelqu’un peu soucieux de son patrimoine, la porte d’entrée est plus proche de celle d’un ouvrage de la ligne Maginot que de celle d’une construction renaissance. Thugny Trugny a appartenu au XVIIIe à un fermier général qui possédait deux immeubles Place Vendôme, fit creuser un canal, se risqua en Louisiane en tant que gouverneur, auparavant la famille Moy avait augmenté le vieux château féodal d’un logis renaissance. L’ensemble conserve son plan moyenâgeux : fossés, cour intérieure, impressionnant châtelet d’entrée surmonté d’une bretèche. Vraiment peu d’informations sur le lieu qui malgré son inscription à l’inventaire depuis 1947 se délite tranquillement. L’Automobile Club Ardennais dans l’un de ses fanzines en parle longuement, il daterait de 1960 à 67, je ne l’ai pas retrouvé. R.C.
Vez 1993 France (Aisne)
Le donjon des vanités. De tout temps cette place a toujours été comme ça, un truc bizarre : une basse-cour presque vide avec au milieu un petit logis et une grande chapelle gothique. Autour, une belle enceinte, et dans l’angle Nord Est une seule tour, énorme, haute de 30 m, 5 niveaux avec de grandes fenêtres. Un vrai décor d’opérette pour amateur de féodalité hollywoodienne. L’aménagement minimaliste des espaces verts en ramène encore un peu plus, une belle froideur.
Si vous êtes dans les parages, après avoir visité Pierrefonds, la Ferté Million, et Septmont vous pourrez toujours jeter un œil à Vez, il vous laissera une impression de déjà vu. C’est la belle époque de Louis d’Orléans, du registre gothique flamboyant, quand les tours se parent de grandes fenêtres à meneaux, de niches ou de mâchicoulis décoratifs. Bénéficiant de l’engouement du second empire pour les monuments dits gothiques, la plupart de ces châteaux bénéficièrent d’une restauration zélée à la fin du XIXe.
L’histoire de Vez commence au XIIIe avec l’un des compagnons d’armes de Philippe Auguste à Bouvines, au milieu du XIVe la maison forte est démolie lors de la Jacquerie. La reconstruction assez lente se termine au début de la renaissance, une restauration intensive à la fin du XIXe parachève le travail de décoration post médiévale. Ne cherche pas la ruine romantique ici, surtout quand l’actuel propriétaire, féru d’art contemporain, fait repeindre les murs des pièces du donjon par Sol Lewit. Cela vaut bien une tapisserie des Flandres. R.C.
Pierrefonds 1990 France (Aisne)
En arrivant par l’est, c’est à dire par le plateau, un jour d’hiver brumeux, vous n’égalerez pas la sensation glaciale qui pénêtre tout entrant dans la cour du château. Dans cet espace minéral sans soleil, un fameux courant d’air préfigure l’emprise lugubre de cet immense bâtiment qui semble construit en béton banché. Ils sont loin, doux et agréables les châteaux du val de Loire en pierre ivoire. Pourtant, lorsque Louis d’Orléans fait agrandir la vieille tour philippienne, le souci esthétisant de l’ensemble est déjà visible. La vocation défensive est encore d’actualité, mais l’ostentatoire oriente la construction. 1396, la France est partagée par une guerre civile dont l’occupation anglaise est le catalyseur, Charles VI gouverne quand sa folie ne l’accapare pas, son frère mène grand train et couche avec la reine. Dans son Valois il refait sa France, il érige des forteresses dignes d’un monarque, en ces périodes d’instabilité il vaut mieux s’affirmer et pouvoir s’abriter rapidement. Louis donne dans le multiple magnifique : aménagement décoratif à Coucy, agrandissement de Pierrefonds, construction de la Ferté Millon. Ses frasques et son ambition attisent crainte et jalousie, il se fera poignardé un soir par les hommes de Jean sans Peur, en sortant de chez Isabeau.
En 1407, l’enceinte est en place avec la plupart de ses tours, le vieux donjon remanié parade avec ses nouvelles vis et tourelle d’angle. Plus rien n’évoluera, la place restée dans le domaine royal subit quelques sièges pendant les guerres de religion pour terminer minée au XVIIe, durant deux siècles la ruine domine le pauvre village. A la fin du XIXe, Viollet Le Duc convainc Napoléon III de restaurer un site gothique, les Français redécouvrent leur patrimoine médiéval, Mérimée en est l’apôtre, Taylor et Nodier font l’inventaire Pittoresque et Romantique de l’Ancienne France. Première option Coucy, où les travaux débutent, mais Napoléon préfère Pierrefonds. Ce nouveau site décrié par les puristes n’a pas perdu son caractère monumental et son enveloppe demeure conforme au XVe, en revanche Eugène s’est lâché dans la cour, les courtines sont bordées de bâtiments, un escalier d’apparat est accolé au donjon, une chapelle gothique trône dans la cour. Les aménagements intérieurs ont été largement modifiés, il fallait pouvoir abriter et divertir toute la classe dominante, mais Napoléon ne séjourna ici que deux ou trois fois. La visite est une déambulation dans de grandes salles vides sombres et froides, vivement les tours et le chemin de ronde, tu respires enfin. Vue bucolique sur la forêt ou sur le bourg qui s’étale sur les flancs des collines avoisinantes avec des petits manoirs de la fin du XIXe, ça sent bon la bourgeoisie parisienne en week end. Avec l’avènement du chemin de fer, Pierrefonds, l’Oise, Coucy devenaient les destinations de prédilection le temps d’un dimanche pour des milliers de Français. R.C.
Yèvre le Châtel 1990 France (Loiret)
Dans ce paysage de côtes, rythmé par l’agriculture intensive de la Beauce, les vallons sont autant de havres de quiétude où s’écoulent de petites rivières, jalonnées de moulins et de ponts aux piles moussues. Enfin Yèvre, à flanc de côte, dominé par l’imposante masse de son château à gauche et son église ruinée à droite. Un séduisant panorama aux lignes rondes sur lesquelles repose l’un des plus beaux villages de France. La promenade dans le patelin vous ravira d’importance, avec ses venelles creuses bordées de haut murs décrépis recouverts de fleurs multicolores. Délicatement sauvage, bien aménagé, idéal pour le tour digestif vaguement culturel d’un dimanche après-midi. Foin de bucolisme, il est temps de passer dans la basse-cour, un espace plan de grande taille au pied du château. Un rempart la défendait, il a presque disparu, seules demeurent les deux tours du châtelet d’entrée. La construction est établie sur une motte artificielle défendue par un fossé sec, quatre grosses tours semi-circulaires forment les angles et les fondations. Sur le mur Ouest, vous remarquerez un dispositif que Philippe Auguste ramena du Proche-Orient, un arc bandé entre les deux tours qui supporte la courtine et interdit son effondrement en cas de sape. Autre particularité, des archères dans la noue des tours et de la muraille, une disposition rare qui permettait au tir de balayer à l’aplomb du mur, cette fonction est assurée normalement par le couronnement.
Pas de donjon, mais un logis seigneurial adossé au mur Ouest, il s’élevait sur toute la hauteur, au rez-de-chaussée subsistent les vestiges d’une cuisine, à l’étage se trouvait la salle d’apparat, il reste des cheminées. Une restauration de cette partie fut entreprise au XVe alors que la partie défensive date du début du XIIIe, mais Yèvre est déjà mentionné en 1112, quand Louis le Gros l’annexe à la couronne. Ce site renommé a bénéficié de plusieurs campagnes de protection et d’entretien, toutes les tours sont accessibles, vous remarquerez qu’elles sont voûtées en croisée d’ogive. Les niveaux de la tour Nord sont desservis par un escalier rampant dans l’épaisseur du mur, ils sont à vis dans les trois autres, dans son fondement une salle abrite un cachot. Pour l’amateur de détails croustillants, dans un souci de vérité, sans doute pour renforcer l’imagerie spinalienne de ces lieux sordides, tu pourras peut être admirer un gisant de cire recouvert d’une robe de jute blanc dont se repaissent nombres de grosses blattes noires bien vivantes. L’abandon du château date de la fin du XVIe, la région est pacifiée, Yèvre est devenu une forteresse royale sans intérêt stratégique, en 1610 l’état de ruine est avéré. R.C.
Nemours 1995 France (Seine et Marne)
Un gros donjon avec quatre tourelles d’angle, une tour carrée et la galerie qui les relie. Bâti au XIIe, le château faisait partie d’un ensemble fortifié qui défendait la ville. Il est pourtant joli ce petit château dans son cadre de verdure sur les bords du Loing, dommage, Nemours est un peu à l’écart des haltes touristiques. Alors Parisien, par un beau dimanche de printemps prends ton os, direction Lyon autoroute du sud, sortie 15 ou 16, la petite ville bien glauque comme tous les bourgs français le jour du seigneur, avec son abbatiale, ses canaux, ses ruelles et son château, t’attendent. Au retour, tu auras tout le loisir de t’arrêter à Barbizon pour le bain de foule.
D’un manoir féodal pour Croisés de retour au bercail, à la construction actuelle, six siècles se sont déroulés. Inclus depuis toujours dans le domaine royal, il sera épargné voire bien aménagé au fil des siècles, des hôtes illustres l’habitent où y passent, Orson le fait construire, Louis VII, Saint Louis y séjournent. Jacques d’Armagnac transforme la forteresse en demeure de loisirs, en 1585 les Guises et La Médicis signent un accord, la famille de Savoie en prend possession jusqu’à Hédelin, lieutenant du duc d’Orléans, qui en 1673 engage les derniers aménagements, perron et portail. Au XVIIe il sert de Palais de justice et des cachots sont aménagés dans les sous-sols. En 1789, il appartient à Monsieur Dupont, député, dont le fils fondera l’entreprise américaine Dupont de Nemours… enfin, vous savez. Après la révolution il est occupé et entretenu, immanquablement il frôle de justesse le démantèlement. Au XIXe, il fait office de « maison du peuple », on y joue des pièces de théâtre, il abrite une école de filles, des stockages divers de vin et de laine, transformé en musée de la paléontologie, il pourrit doucement, aujourd’hui après sa restauration, ce sont des collections de faïences.
A l’intérieur, c’est bidouille et compagnie, rien de plus normal pour un site qui a tellement vécu, il subsiste de la renaissance de grandes cheminées, de belles fenêtres à meneaux. Le très bel oratoire dans l’une des tourelles date de la fin du XIIe. Aux pieds de la muraille flottent nonchalamment quelques cygnes. R. C
Blandy les tours 1991 France (Seine et Marne)
Deux châteaux, deux époques, le temps des vicomtes de Melun jusqu’au milieu du XIVe, puis celui de grands feudataires du royaume, jusqu’à la fin du XVIIe : les Tancarville, les Harcourt et les Orléans-Longueville. Au début du XIIIe, une chapelle et quelques baraquements en bois étaient protégés d’une haute enceinte de pierre. Aujourd’hui, au milieu d’un village plutôt engourdi, posé délicatement sur une grande pelouse, la forteresse écrase les petites maisons au charme suranné et franchouillard. Image rassurante de la France rurale et immuable qu’une pauvreté certaine entretient. Il n’est pas encore trop difficile de se procurer des photos de Blandy avant sa restauration : une masse sombre et verdâtre, aux courtines effondrées, tours lézardées et étêtées. La blancheur est revenue au terme de grands travaux de consolidation et de reconstruction, les sept tours sont debout, bien couronnées, la muraille est remontée, seul l’intérieur est vide, et depuis longtemps. Les bâtiments de résidence de facture classique se trouvaient là, au milieu de la basse-cour appuyés sur la courtine primitive, il n’en reste plus qu’une cave datant du XVIIe. La partie la plus ancienne compte quatre tours, autant de carrées que de rondes bien engagées dans le mur. Ici, la différence est flagrante entre ces construction du XIIIe et celles du XIVe avec des tours plus grosses parfaitement en saillie du mur d’enceinte. L’une d’elle, celle du sud, s’élevait à plus de 35 m, appelée tour maîtresse, elle comportait trois portes d’accès : l’une ouvrant vers l’extérieur au niveau du sol avec un pont-levis, depuis longtemps murée, la seconde vers l’intérieur donnant sur la basse-cour, avec herse et assommoir, enfin, accessible par le chemin de ronde la dernière était protégée aussi par un pont-levis. Ils devaient affectionner les poternes dans ce château… pas moins de trois sur l’enceinte primitive. L’originelle est murée, l’entrée principale se fait par une tour porche percée au XIVe, vous trouverez la troisième poterne à 10 m vers le sud. Pas de hauts-faits de guerre, nous sommes sur les terres royales. Le démantèlement est amorcé en 1707 quand de Villard, propriétaire de Vaux le Vicomte, transforme Blandy en ferme, depuis le XVIe les parties défensives sont négligées au profit du résidentiel.
Au travers de ces transformations, les bouleversements sociaux de la société française sont signifiants : du manoir en bois au château fort, du palais à la ferme, puis à la ruine, enfin à la restauration aseptisée depuis 1992 et financée par le conseil général. De loin, les toitures acérées, la rectitude absolument parfaite des murs se découpent sur un horizon brumeux de chaleur, au premier plan deux pauvres glaneuses se courbent. R.C
Méréville 1994 France (Essonne)
Ici, tout est douceur, grâce, harmonie, tous les plus grands se sont penchés sur Méréville, Belanger, Barré, Loiseau et mon préféré Hubert Robert. A la fin du XVIIIe il n’est pas de chantiers au monde plus prestigieux. J. J. de Laborde acquiert un vieux manoir et 60 ha de marais dans la vallée de la Juine en 1784, neuf années plus tard le jardin est terminé, 400 ouvriers y travaillent régulièrement, ainsi sont dépensés plus de 9 millions de livres, il l’avait acheté moins d’un. Au titre de travaux dignes d’un pharaon, entendez le détournement de la Juine, le déplacement du village, la création d’îles et d’un lac. Le reste n’est que gnognotte, reconstruction du château, installation d’une bonne vingtaine de fabriques dont des grottes, des ponts, des bâtiments et la colonne trajane, aujourd’hui près de la gare. La révolution bat son plein, Jean-Joseph doit vraiment intriguer pour maintenir l’avancement des travaux et conserver sa tête sur ses épaules. Sa fortune immense et rapide provient de sa charge de fermier général, elle lui vaudra finalement d’être décapité en 94. Sa fille Nathalie poursuit l’œuvre paternelle, elle vendra le domaine en 1819. Quatorze « tauliers » se succèdent, je les baptise ainsi à dessein car douze d’entre eux, chacun à leur tour, ne feront que dépecer un peu plus le site. De 1819 à 1824, la bâtisse s’altère, elle est modifiée par l’ablation de la moitié des deux ailes. Belanger qui avait construit Bagatelle en moins de 70 jours est l’architecte en chef ici, il a sûrement dû employer la même équipe, qui ne brille pas dans la construction durable, mais dans le genre plus clinquant. Le bâtiment est réalisé en briques et moellons grossièrement appareillés, recouverts ensuite d’un bon enduit relevé de pâtisseries. 1824 à 66 dernières belles heures de Méréville, Jacques de Serre restaure le château, l’embellit et ajoute une fabrique : la ferme suisse. Après c’est la catastrophe, fauchés et pusillanimes vivent sur la bête, la déprédation suit le flux de la facilité pour la revente, le mobilier, les fabriques, les arbres, puis le mobilier immobile, les derniers arbres et pourquoi pas des mottes de terre. Lors de ma première visite le site était fermé au public, ce faisant l’interdiction n’empêche pas les passionnés, en famille, de franchir le mur et de passer un dimanche après midi bucolique à la recherche des dernières fabriques recouvertes de végétation. Pour les enfants, la promenade prenait des allures d’expédition dans la forêt, à la chasse d’un trésor. Sensations que je retrouve, moi aussi, nonobstant les braillements d’un clébard dans une cour de ferme au loin, nous imaginons soudain la confrontation avec des molosses à la croisée d’allées forestières. Quelques gravures en tête, le souvenir de Jeure où les plus belles fabriques ont été remontées, étaient mes seuls référents. Premières découvertes, sur le flanc de la colline en descendant dans la vallée, des galeries dont la couverture est une voûte façon rocaille et le pavement un assemblage de galets scellés sur leur pointe. La perspective est maintenant dégagée, la peupleraie vient d’être coupée, le château surplombe la rivière derrière un rideau d’arbres, nous passons par la ferme totalement inaccessible dans son roncier, pour arriver dans la cour d’honneur. Il est loin le faste du XVIIIe quand Hubert imaginait Méréville inondé d’une lumière d’été, peuplé de belettes poudrées, de beaux mâles sur leurs canassons et quantité de manants affairés au jardin.
La ruche imaginée fait place à notre solitude et le luxe inouï, au grand délabrement, l’enduit laisse apparaître la misère du grossier appareil de construction, les planches clouées dissimulent les ouvertures sans fenêtres, quand tu sais aussi qu’à l’intérieur les planchers sont tombés, que les cheminées et même les portes sont parties. Faire le tour révèle d’autres fissures, les corniches moulées ont disparu, je comprends les réfections successives des façades dès le début du XIXe, un vrai décor d’opérette mal construit. Sans doute négligé au profit du décorum et du parc qui invite à la déambulation active voulue par Laborde. Partez à l’aventure et à la rencontre : d’un empilement de pierres percées qui tient par miracle le pont de roches, des restes de la laiterie sans sa façade (à Jeure), une grotte en rocaille rafraîchie par une cascade, d’autres cavités artifices existent encore dont celle aux cristaux que je n’ai jamais trouvée malgré mes quatre visites. Près des anciens potagers il existe toujours une pile du faux pont ruiné, plus loin encore complètement à l’opposé, les quatre murs en meulière du moulin sur la juine vestiges humides et calcinés. R.C
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